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de toilette par une émotion qui les lui avait fait oublier, car il était à demi habillé, et ses mains crispées froissaient sa veste de travail, sa tête grisonnante était secouée par les sanglots mal contenus qui soulevaient sa poitrine robuste.

Cette faiblesse était si inattendue de la part d’un homme qui se maîtrisait toujours et qui imposait à tout le monde par sa rude autorité, que sa belle-fille attendit un moment avant d’oser entrer ; timide comme elle l’était, elle ne sut dire à Claude Chardet en l’abordant que ces paroles banales :

« On vous attend, mon père ; est-ce que vous seriez malade ? »

Le maître des Ravières tressaillit, passa le revers de sa main sur ses yeux ; puis, voyant sur la douce physionomie de sa belle-fille le vif sentiment de sympathie qu’elle n’avait pas su exprimer dans ses paroles, il lui répondit :

« Malade ?… Oui, je suis malade, ma pauvre Catherine, et je ne guérirai point, car voilà ma maladie, — et il lui montrait les portraits de M. et Mme Thonnins et de leurs deux enfants. — Je la porte toujours avec moi ; mais il y a des jours où elle surmonte mon courage. À quoi bon amender nos terres, accroitre nos profits, épargner nos gains ? Pour qui travaillions-nous ici autrefois, si ce n’était point pour ceux-là ? Toi aussi, Catherine, tu étais d’un même cœur avec moi. Tu les aimais, ces chers petits, comme tu aurais aimé tes enfants, si tu en avais eu.

— Vous voulez dire que je les aime, que nous les aimons, répondit Catherine ; si nous avons perdu ma pauvre Marie et mon pauvre beau-frère, les enfants nous restent.

— Pas à nous, pas à nous, s’écria Claude Chardet en hochant tristement la tête ; quand je vais les voir à Lyon, ils m’embrassent et me caressent parce qu’on leur dit : « C’est le grand-père. » Mais je ne sais de quoi leur parler