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comme dormi en moi. Il paraît que, durant toute une année, j’ai réclamé ma mère, et pleuré chaque soir, ce qui n’a pas contribué à me faire trouver aimable par Mme Sauviac. Enfin je me suis habitué à ma nouvelle vie, et c’est en grandissant tout à coup sans même que j’y pense, que chacun de mes souvenirs se réveille dans ma tête et me raconte des choses oubliées.

— Mais le nom de ton village, de ton père, ne te sont pas revenus ?

— Pas du tout. J’ai pourtant fait bien des efforts pour les retrouver. Il faut que j’y renonce. C’est un peu la faute de mon père Sauviac, qui n’aimait pas que je le questionnasse sur tous ces sujets. À force de vivre avec moi, il m’aimait comme son fils, et il aurait voulu m’habituer à le considérer comme mon véritable père. Mes souvenirs d’enfance ne pouvaient, selon lui, que m’attrister, et il répondait à toutes mes demandes : « De quoi t’inquiètes-tu ? Que te manque-t-il ? Tous les orphelins ne retrouvent pas un père. Est-ce que je n’en suis pas un pour toi ? Ne te tracasse pas l’esprit de ton passé. Prie pour tes pauvres parents, c’est ton seul devoir envers eux. » Je sais seulement que c’est mon oncle, ruiné aussi par cet incendie, qui m’a confié à mon père Sauviac avant d’émigrer en Amérique ; il m’avait cru trop faible pour supporter la traversée.

— Mais ta mère, dit Alice, tu ne te souviens pas du tout de ta mère ?

— Oh ! si, et je suis sûr qu’elle m’appelait Torio, toujours Torio, et d’une voix si douce ! c’était comme de la musique. Tiens, Alice, il n’y a que la tienne qui me l’ait jamais rappelée. Quelquefois, quand je suis à l’autre bout du jardin et que tu me cries : Torio ! Torio ! mon cœur saute d’un seul coup dans ma poitrine. Je ne sais plus si c’est ma mère ou toi qui me parle.