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ment le fils adoptif de Jacques Sauviac. Il ne leur répondait que par propos interrompus, au milieu du bruit que faisait la petite marmaille des Lizet ; mais, un dimanche que la sabotière avait prié l’apprenti de mener paître la chèvre sur le communal qu’on appelle le Roux, Vittorio put satisfaire tout à son aise l’amicale curiosité de Paul et d’Alice.

Ils avaient renoncé sans peine, pour passer l’après-midi avec lui, à une course en voiture que l’oncle Philibert faisait à Virey, et tante Catherine n’avait pas hésité à confier ses deux enfants à la bonne garde de Vittorio. Alice s’amusait à faire la pastoure, en cueillant à pleines mains les brins de serpolet qui croissent autour des blocs de pierre dont la prairie du Roux est émaillée, et en les offrant à la chèvre. Celle-ci ne donnait aucune peine à ses gardiens. Satisfaite de brouter l’herbe courte et parfumée de ce plateau rocailleux, elle s’écartait peu. Le bruit de sa clochette révélait si bien, à chaque instant, son voisinage, que les trois enfants purent s’asseoir à l’aise sur une assise de granit noirâtre, et causer ensemble du passé de Vittorio, dont ils étaient uniquement occupés depuis quelque temps.

Afin de les contenter, Vittorio rassembla ses souvenirs, tout en leur avouant qu’ils se réduisaient à peu de chose.

« Il y a deux ans, leur dit-il, je n’aurais rien su vous dire ; c’est à mesure que je grandis que la mémoire me revient par échappées. Ainsi, tenez : le jour où je vous ai rencontrés sur la route de Chardonnay, je m’étais oublié dans le bois de pins que vous voyez là-haut, sur le coteau de Marna. L’odeur de ces arbres, le sol, roux de leurs aiguilles séchées, leurs festons découpés sur le ciel qui était orageux, tout cela m’avait rappelé un paysage d’un autre temps. Je m’étais couché à terre, j’avais fermé les yeux pour revoir, quoi ? en moi-même : le paysage où s’était passée mon enfance et qui