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solument isolé, rejeté de tous ceux qui le connaissaient. À cette pensée les larmes jaillirent de ses yeux. Il ne fallut rien moins, pour les sécher sur son visage, que le souvenir de ces paroles de Jacques Sauviac, cent fois répétées par au jeune garçon :

« Vittorio, on se fait à soi-même sa destinée. Ne crois jamais les gens qui se plaignent du mauvais sort. Ce sont des esprits mal faits, ou des gens qui ont des défauts, des vices. Certes, l’on peut subir des malheurs, trouver des difficultés ; mais celui qui a ferme volonté de tout tirer de soi et d’être utile aux autres, celui-là vit, sinon content, du moins satisfait de la destinée qu’il s’est faite. »

En se rappelant ces instructions fortifiantes, le jeune garçon se sentit ranimé. Ayant redressé, sur son épaule déjà lasse, son paquet, plus lourd de livres que de vêtements, il se crut assez réconforté pour se tourner une dernière fois du côté d’Uchizy, et dire un dernier adieu à ce village où il laissait ses affections les plus regrettées.

Du territoire de Farges, sur lequel il cheminait, sa vue prenait en biais la montagne des Glaçons ; aussi l’enfant embrassa d’un seul regard le clocher carré de l’église, le belvédère vitré des Ravières, les maisons confusément groupées dans le feuillage, et, tout en bas du paysage, la ligne bleue de cette Saône, paisible et terrible à la fois, que la grande croix du cimetière semblait désigner de ses bras étendus.

Le cœur de l’enfant se brisa, et, se laissant tomber dans le fossé du chemin, il se prit à sangloter, à crier, en arrachant l’herbe de ses deux mains crispées.

« Qu’y a-t-il là ? demanda au bout d’un quart d’heure la voix d’un passant. Es-tu blessé, mon petit, ou renvoyé de chez tes maîtres pour quelque sottise, que te voilà chargé de ton paquet ?… Tu n’oses pas rentrer chez tes parents, hein !… lui