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des fils, luisants comme un ruban vert glacé d’argent, leur glissaient des mains, aussi fluides, aussi insaisissables que l’élément dans lequel ils replongeaient.

À chaque espérance, c’étaient des cris de joie, à chaque déconvenue des éclats de rire. Alice, la plus légère de tous les baigneurs, était parfois soulevée, entraînée par le courant, et Paul, qui se démenait dans l’eau comme un Triton, courait rattraper sa sœur en l’appelant « petite épave ».

Dans ces mouvements brusques, il battait l’eau de ses bras, la faisait jaillir en pluie sur les chapeaux de paille et sur le nez des autres baigneurs, qui, machinalement, s’essuyaient de leurs doigts mouillés, et de rire encore.

Ces scènes de folle gaieté furent troublées par l’arrivée d’une troupe de jeunes garçons d’Uchizy, qui avaient déserté l’école communale pour se livrer en cachette au plaisir du bain. Pétrus Courot était à leur tête, et, bien que les enfants des Ravières l’eussent évité depuis l’accident du Chardonnay, il fut poussé à interpeller les baigneurs par la réflexion maligne qu’avait faite un de ses camarades d’école buissonnière.

« Ah ! voilà les gens des Ravières ! s’était écrié le gamin avec cet accent moqueur qui est natif du territoire chizerot ; Pétrus, veux-tu te cacher derrière nous pour passer auprès d’eux sans qu’ils te voient, puisqu’il n’y a point par ici de chemin des affronteux[1] ? »

Pétrus paya d’une bourrade cette obligeance intempestive, et, autant pour narguer cette raillerie que pour ne pas déchoir dans l’estime de ses compagnons par un accès de timidité, il alla droit à la cabine de toile plantée à quelques

  1. À Uchizy, et probablement dans beaucoup d’autres villages, on appelle ainsi les petites ruelles que l’on suppose devoir être hantées par les gens mal famés, de préférence aux grandes rues où chacun pourrait les toiser avec mépris.