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passage que par l’intensité plus verte de la végétation, soit qu’elle apparaisse dans la claire beauté de son cours tranquille.

Mais, lorsqu’on est sur ses rives, tous ses grands aspects ne subsistent que pour le souvenir. Elle ne perd rien cependant à être admirée de près. Les baigneurs revoyaient toujours avec plaisir sa nappe azurée, piquetée par le soleil d’étincelles d’or au sommet de ses petites vagues, sa plage de sable fin, sa ceinture d’ajoncs et de genêts. Les enfants aimaient aussi à regarder sur l’autre rive la troupe des grands bœufs charolais blancs et roux, vaguant dans la part de l’Ezeratza livrée au bétail. Ils étaient là enfoncés à plein ventre dans l’herbage touffu, jusqu’au moment où, le soleil s’inclinant vers Marna, les cent bœufs, suivant à la file le taureau blanc monté par le berger, devaient nager dans les eaux du fleuve pour retourner à leurs étables d’Uchizy, dessinant d’une rive à l’autre, afin de couper le courant, une ligne oblique que Paul nommait en riant le Bosphore.

Jamais l’eau n’avait paru plus agréable aux baigneurs que ce jour-là. Comme la prudence inquiète de Mme Chardet défendait à Paul de prendre des leçons de natation qu’aurait pu lui donner Jacques Sauviac, tous les baigneurs s’avancèrent ensemble dans le lit en pente douce de la rivière jusqu’à la place où, en s’asseyant, le niveau de l’eau vint caresser leur menton. Groupés en demi-cercle, ils sentirent alors le courant circuler autour d’eux et virent danser leurs images aux lignes brisées dans le clair miroir de la Saône.

Ce fut entre les enfants une lutte joyeuse à qui saisirait au passage dans ces eaux limpides les petits poissons qui y flottaient par milliers. Alice avait beau les enfermer dans sa jupe de laine, Paul avait beau rejoindre ses mains creusées en bassin, et les enlever ensuite au-dessus de l’eau pour faire admirer sa prise, goujons et ablettes, minces comme