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carré d’une vieille église romane, se nomme Uchizy. Ses habitants ont conservé la vieille tradition bourguignonne qui veut que la vigne, pour prospérer, soit plantée en grande réjouissance, au son de la musique, et qu’à chaque rangée de sarments, l’on fasse des libations destinées à fêter les vendanges futures de la plantation nouvelle.

À Uchizy, où chacun, peu ou prou, est propriétaire, ce sont les riches cultivateurs qui se piquent le plus d’observer les vieilles coutumes ; aussi, lorsqu’à la fin de 1858, le père Billot, valet fermier de Claude Chardet, des Ravières, alla inviter, dans tous les quartiers d’Uchizy, les amis de son maître à venir l’aider à planter sa vigne des Glaçons le troisième jour du mois de mars, nul ne fut étonné que l’invitation fût faite à l’ancienne mode, c’est-à-dire que le père Billot se présentât chargé d’un grand broc plein d’un excellent vin de 1846, dont il versait un verre à chaque invité en trinquant avec lui.

Après une quinzaine de stations de ce genre, le père Billot n’était certainement pas gris ; mais il se sentait l’estomac plus chaud, la langue mieux déliée, l’œil éclairci, et la bise d’hiver, qui lui soufflait en pleine figure une pluie fine, lui paraissait moins aigre.

Bien campé dans ses deux sabots ouatés de paille, les jambes couvertes de guêtres en toile blanche, le corps protégé par un paletot de cette même grosse toile s’entre-bâillant par devant pour montrer une blouse gros bleu, d’un neuf brillant, que dépassait un peu en dessous le pan de son habit des dimanches, il s’en alla frapper d’un air narquois chez Joseph Courot, du Pilori, le rival de son maître en fortune, qui jalousait, dit-on, la belle maison des Ravières et généralement tout ce qui faisait le bon renom de Claude Chardet.