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lui les fantômes de son cœur, Satan lui apparaissait alors ; et lui, frissonnant, oppressé, mais ferme dans sa foi, il entrait en lutte contre son visiteur redoutable[1]

Tel devait se montrer Luther. Or, quand il partit pour Rome, il était ce que le cloître l’avait fait ; son visage n’avait pas alors ce teint fleuri et ces chairs si fermes que nous montrent aujourd’hui certains portraits de Luther ; il trahissait, au contraire, les longues veilles, les veilles ardentes ; ses yeux, qui, depuis, furent comparés à ceux du faucon, brillaient d’un éclat sinistre, et il avait à ce point souffert par la pensée, qu’on aurait pu, dit un historien du temps, compter les os de son corps ; quant à ses scrupules, ils étaient d’un enfant de l’Église.

Mais quel spectacle lui réservait la ville sacrée ! La corruption y était devenue générale, prodigieuse. Partout la simonie, des débauches sans nom[2], le blasphème, l’odeur du meurtre[3]… Luther frémit d’horreur, et, de retour à Wittemberg, peu d’années après, en 1517, il commençait sa grande attaque.

Incompréhensible audace, si la révolte d’un homme, ici, n’eût été celle d’un siècle !

Car, bien qu’ébranlée profondément par les hérésies d’un côté, et de l’autre par le concile de Constance et celui de Baie, la papauté paraissait encore pleine de vie. Rome était à bout d’impuretés ; mais, pour les couvrir, que de splendeurs réunies ! Autour du trône pontifical se pressait un groupe de grands hommes. Le pape d’alors, c’était Léon X, un des Médicis ; et il avait apporté, dans ses fonctions suprêmes, la grâce, la magnificence, l’heureux génie de sa maison.

Mais sous cet éclat la mort habitait. La raison en est simple. Une puissance ne dure qu’à la condition de conserver la spécialité de ses fonctions et l’originalité de son caractère. Le pape n’avait été possible que

  1. Propos de table, traduits par Gustave Brunet, part. I. p. 31.
  2. Merle d’Aubigné, Hist. de la Réform., t. I, p. 73.
  3. Ranke, Hist. de la papauté, t. I, p. 80.