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qu’il avait dit, « Non content, s’écria-t-il furieux, d’avoir dégradé les prêtres, ne voudriez‑vous pas dégrader les rois ? » Rapprochement cruel et lâche dans la circonstance, mais d’un sens plus profond que ne l’imaginait le cardinal de Cambrai lui-même !

Jean Huss venait de faire son devoir : il ne lui restait plus qu’à mourir. À l’approche de cette épreuve difficile et dernière, il se recueillit et ne se sentit pas exempt d’angoisses. La prison, d’ailleurs, avait durement pesé sur lui ; il était malade ; il vomissait le sang. Et néanmoins il demeura inébranlable. Inutilement on le pressa de se rétracter : il répondit à la manière de ceux qui savent que leur vie appartient à leur cause.

On le condamna. Se tournant alors vers l’empereur Sigismond, il lui rappela le sauf-conduit, et comme il regardait fixement le prince traître à sa parole, celui-ci ne put soutenir un tel regard, et une rougeur subite couvrit son visage.

Jean Huss en avait appelé au Christ, et les Pères du concile n’avaient fait qu’en rire. On lui mit sur la tête, en signe de dérision, une mitre d’une coudée, sur laquelle était écrit le mot hérésiarque, et lui : « Je me félicite, dit-il, de porter cette couronne d’opprobre, en mémoire de Jésus, qui porta une couronne d’épines. » On lui fit subir plusieurs autres humiliations[1]. Il fut ensuite livré au bras séculier et conduit à la mort. Par un exécrable raffinement de barbarie, les Pères du concile avaient ordonné que, sur le chemin de son supplice, on brûlât ses livres[2], pour qu’avant d’abandonner son corps aux bourreaux, il fût témoin de la profanation de ses pensées. Arrivé à la place du bûcher, Jean Huss, tombant à genoux, s’écria : « Mon Dieu, je remets mon âme entre vos mains. » Et, dans la multitude, il y en eut plusieurs qui murmuraient, pleins d’admiration et de pitié : « Quel est donc le crime de cet homme ? » Il

  1. Hist. des Martyrs, p. 56. — Voyez comment, de son côté, Théobaldus raconte cette terrible scène : « Tandem omnibus vestibus sacerdotalibus exuto capitis « quoque rasuram illi turpificare velie ; etc. » Bellum Hussittcum, p. 50.
  2. L’abbé Fleury, Hist. ecclésiast., t. VI, liv. CI. — Lenfant, p. 164.