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delà nos montagnes et nos fleuves, l’Europe est envahie à son tour, couverte de confusion, inondée de sang, et marquée à l’empreinte des maximes nouvelles. Et ce qui fut au dessus du génie des sénateurs romains, le sénat de la Révolution va l’oser et l’accomplir. Tandis que, par des lois hardies et d’une sagesse auguste, il travaille à faire aux peuples de fraternelles destinées, il dirige de loin ses quatorze armées frémissantes, il les contient, il les gouverne, par des commissaires civils, surveillants de l’ambition ; et le plus fier des généraux, s’il devient suspect, reçoit dans son camp et au milieu de ses soldats l’ordre, toujours obéi, d’aller devant un tribunal inflexible demander pardon au peuple et mourir.

À l’intérieur, cependant, la France est remplie de funérailles. Des tables de proscription ont été dressées, plus vaguement homicides que celles de Sylla. Beaucoup périssent aujourd’hui : nul ne sait s’il vivra demain ; mais en ces jours tellement héroïques qu’on n’y remarque plus l’héroïsme, la nature humaine s’étant agrandie outre mesure, la mort a perdu tout pouvoir d’effrayer. Les prisons pleines de suspects, les guillotines où paraissent des femmes, la rue, la tribune, font voir des vertus et des crimes qu’ignorèrent les temps antiques. Parmi ces condamnés qui, debout sur leurs charrettes funèbres, se répandent en imprécations éloquentes, j’en aperçois qui, le front haut, le regard dans les cieux, adorent la liberté qui les tue.

Et toutefois, chose admirable ! ce qui plane sur cet empire du désordre, c’est la pensée. Deux hommes dont