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netteté surprenante la description imaginaire des rues de Madrid, qu’il n’avait jamais vu. Il exprima quelques plaintes sur l’injustice de ses ennemis, et il évoqua le souvenir de plusieurs de ses amis dans un langage d’une éloquence passionnée. En parlant d’un officier nommé Maillé, mort en Afrique, il s’écria « Il a été tué d’un coup de pistolet… non…, d’un coup d’épée… c’était un brave. » Les parties de cette funèbre improvisation étaient diverses, sans liaison entre elles mais chaque fragment, pris à part, formait un sens complet et présentait des aperçus d’une grandeur singulière. De temps en temps, le mourant s’interrompait pour redemander son bain. On dut céder à ce désir, qu’il n’y avait plus, hélas ! de danger à satisfaire. Après avoir indiqué de quelle manière le bain devait être préparé, Carrel perdit le mouvement et la parole. Il y eut là un moment d’une solennité terrible. Était-ce le sommeil ? était-ce la mort ? Tous étaient debout, muets, remplis de respect, et comme enchaînés dans une attente formidable. Tout-à-coup on entend dans l’escalier le frôlement de la baignoire. Aussitôt, Carrel, qui depuis un quart d’heure ne donnait plus signe de vie, se soulève dans un indescriptible transport « Voilà le bain ! Allons ! allons ! » Ses amis le prirent dans leurs bras ; mais à peine avait-il touché l’eau, qu’une suffocation le saisit. Il murmura quelques paroles confuses France, ami, république, poussa un faible cri, et rendit l’âme. Ceux qui ont assisté à une pareille scène ne pourront jamais l’oublier. Je l’ai vu dans sa dernière attitude son pâle visage exprimait la passion au