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Armand Carrel, en effet, n’avait pas cru devoir rester spectateur impassible d’une querelle commencée par un journal de son parti et le 20 juillet 1836, il publiait dans le National quelques lignes dans lesquelles il soutenait que M. de Feuillide avait bien le droit de trouver mauvaise l’entreprise de M. de Girardin, blamant d’ailleurs ce dernier d’avoir eu recours aux lois de septembre.

M. Émile de Girardin répondit par un article qui semblait jeter des doutes sur la loyauté du rédacteur en chef du National et annonçait en termes généraux des attaques ultérieures.

À l’égard de l’homme qui prétendait entrer en lice avec lui, Carrel était placé assez haut pour ne se pas émouvoir. Mais il se laissa emporter par l’ardeur de son sang.

Avant d’aller plus loin, je dirai quelle était alors sa situation d’esprit. Un trouble invincible l’agitait. Car, tout en le saluant chef de parti, l’opinion ne lui fournissait aucun point d’appui sérieux, et il le sentait amèrement. Comme il était dans sa nature de redouter les emportements populaires, et que la possibilité d’une vaste réforme sociale lui apparaissait à peine dans le lointain, peut-être se serait-il appuyé volontiers sur la bourgeoisie, s’il l’avait jugée digne de la république et accessible au goût des grandes choses. Mais la voyant soumise en général à des passions grossières, amoureuse d’un repos sans grandeur, passionnée pour le médiocre et servile par cupidité, il s’était détourné d’elle avec un mélange de regret et d’indignation. Il portait, d’ailleurs, à celui qu’elle avait choisi pour guide