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Il avait en effet beaucoup souffert ; mais, tout entier à sa foi républicaine, il ne s’était pas cru le droit de renoncer à la vie uniquement pour échapper à la douleur ; et c’était dans l’espoir, aussi insensé que déplorable, de rendre son suicide utile aux peuples par le meurtre d’un roi, qu’il avait quitté Perpignan. On raconte qu’à la veille de partir, il reçut publiquement un soufflet, à la suite d’une querelle. Ses amis le savaient doué d’un courage extraordinaire, et pourtant ils le virent dévorer son outrage en silence. L’offenseur lui-même s’émut d’une résignation qui sans doute couvrait un mystère, et comme il provoquait Alibaud à prendre enfin souci de son honneur, « voulez-vous que je vous demande pardon, répondit Alibaud ? J’y consens. Me battre ?… Ah j’ai autre chose à faire. » Peu de jours après, il arrivait à Paris. Là il vécut plusieurs mois livré à d’inexprimables tortures, poursuivi et obsédé par son dessein fatal, épiant cet ennemi de sa pensée qu’il s’était promis d’immoler, et, en attendant, pauvre, humilié, en peine de l’existence de chaque jour, et même traité d’espion par des citoyens honorables que trouva incrédules et qu’indigna la hardiesse de ses demi-confidences. Et telle était sa détresse que, pour se procurer l’instrument du crime, il fut réduit à offrir ses services à un armurier, comme commis-voyageur. L’armurier lui confia des cannes-fusils, et Alibaud les renvoya, quinze jours après, n’en gardant qu’une, qu’il prétendit avoir perdue, et dont il se reconnaissait débiteur. Pendant ce temps il avait obtenu un modique emploi: il le perdit parce que, dans un dé-