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Les choses en étaient là, quand la nouvelle de la victoire de Nézib se répandit en Europe. Ce fut un coup de foudre pour lord Palmerston. Nézib dérangeait ses plans ; Nézib, en poussant Ibrahim sur le chemin de Constantinople, pouvait y rendre nécessaire, inévitable, la présence des Russes ; Nézib, si le Taurus était franchi, forçait l’Angleterre à rompre plus brusquement que jamais avec la Russie, et à s’appuyer de nouveau, contre elle, sur nous. Quelle admirable occasion pour la France, si elle eût été alors en mesure de dire aux Anglais : « Le péril est immense pour le conjurer, faut-il que nous unissions nos pavillons et nos épées ? J’y consens, mais à une condition, c’est qu’entre la Porte et le vainqueur de Nézib l’arrangement sera direct et libre. Si vous refusez, ce n’est pas moi qui arrêterai Ibrahim. À vous de prévoir les suites ! » À un pareil langage qu’aurait pu répondre lord Palmerston ? Pour le plaisir d’empêcher un arrangement direct, favorable au pacha d’Egypte, aurait-il laissé Constantinople pressée entre la marche de l’armée égyptienne et le mouvement d’une flotte russe ? C’eût été un acte de démence. Et l’eût-il voulu commettre, jamais l’Angleterre ne l’aurait permis. Car, après tout, la politique de lord Palmerston avait des contradicteurs jusque dans le Cabinet dont il faisait partie, et le peuple anglais tenait beaucoup moins à ôter la Syrie à Méhémet que le Bosphore à la Russie. Si donc le gouvernement français, prévoyant la victoire d’Ibrabim, ne lui eût pas assigné le Taurus pour limite, l’arrangement direct devenait la loi même de la situation ;