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pas trop étroitement associées au sentiment national. Peut-être aussi aurait-on dû choisir comme temple des souvenirs un autre palais que Versailles. Car enfin, Versailles désert, Versailles muet avait bien sa grandeur. Abandonné, il parlait au cœur du philosophe et du poète. L’herbe qui poussait dans les avenues d’un château bâti sur la misère du peuple était une indication mélancolique mais éloquente. Quelle puissance d’émotion et quels enseignements dans ces vastes salles retentissantes et vides, dans ces dorures perdues, dans ces glaces où s’était miré le luxe d’un siècle et qui ne réfléchissaient plus que le passage de quelque visiteur attristé ! Et le frémissement de ces vitres négligées par où le vent sifflait, et l’aspect morne de la chambre où Louis XIV avait dormi, et ces eaux croupissant au pied des Nymphes ou des Tritons ennuyés de leur solitude, et l’inutilité de ces ombrages qui avaient protégé des amours funestes, et le délabrement de ce bel escalier de l’Orangerie sur les marches duquel avaient tramé les robes de Lavallière et de Fontange : est-ce que tout cela n’était pas le plus saisissant des drames ? Est-ce que tout cela ne nous montrait pas réunies la philosophie de l’histoire et la poésie des souvenirs ?

Quoi qu’il en soit, les joies de la famille royale ne devaient pas être exemptes d’amertume et le duc d’Orléans eut le chagrin de voir son mariage devenir, au sein des réjouissances populaires, l’occasion d’un affreux malheur. Le 14 juin, l’attaque simulée de la citadelle d’Anvers avait attiré devant l’école militaire le peuple de Paris. Or, si grande était la foule, que l’immensité du Champ-de-Mars pouvait