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plomb pénètre jusqu’à une grande profondeur dans le poumon. Il n’est cependant que blessé mortellement alors un coup de baïonnette divise transversalement la peau du front et montre le crâne à découvert : alors aussi il est frappé en vingt places différentes. Et déjà la pièce n’était plus qu’une marre de sang ; et M. Breffort père, qui, malgré ses blessures, avait eu la force de se réfugier dans une alcôve, était poursuivi par des soldats ; et Mme Bonneville, le couvrant de son corps, les pieds dans ce sang, les mains vers le ciel, leur criait : « Toute ma famille est étendue à mes pieds ; il n’y a plus personne à tuer, il n’y a plus que moi ! » et cinq coups de baïonnette perçaient ses mains. Au quatrième, les soldats qui venaient de tuer M. Lepère et M. Robiquet disaient à leurs femmes : « Mes pauvres petites femmes, vous êtes bien à plaindre ainsi que vos maris. Mais nous sommes commandés, nous sommes forcés d’obéir aux ordres, nous sommes aussi malheureux que vous. » Annette Vaché. – A dix heures et demie du soir, Louis Breffort revint près de moi se coucher. Notre nuit fut agitée. A cinq heures du matin, M. de Larivière, qui avait passé la nuit au deuxième, chez M. Breffort père, monta nous souhaiter le bonjour ; il nous dit qu’il avait très mal dormi, et qu’il avait entendu crier toute la nuit. Une voix appela Louis d’en bas c’était son père. M. de Larivière descendit dire qu’il allait venir. Louis était en train de s’habiller ; j’étais à peine vêtue moi-même, quand, entendant un grand bruit dans l’escalier, la curiosité m’attira jusqu’au quatrième. « Où vas-tu ? » me crient des soldats. Frappée de stupeur, je ne réponds pas : « Ouvre ton châle. » J’ouvre mon châle ; on tire un coup de fusil sur moi, on me manque. Arrête ! me crie-t-on encore, et on tire un second coup de fusil sur moi ; je pousse un cri perçant, et arrive avec peine jusqu’à la porte de Louis. « Es-tu blessée ? me dit-il en la fermant sur moi. – Je ne crois pas ; ils m’ont tirée de si près qu’ils ne m’auraient pas manquée ; je pense qu’il n’y a pas de balles dans leurs fusils, qu’il n’y a que de la poudre. — Comment, pas de balles ! mais ton châle en est percé en plusieurs endroits.— Ah mon Dieu ! ils vont nous tuer. Louis, Louis ! cachons-nous. Tiens, tiens, essayons de monter sur le toit : nous nous aiderons l’un l’autre. Noa, dit Louis, on ne tue pas le monde comme ça ; je vais leur parler. Déjà les soldats frappaient dans la porte. Louis la leur ouvre. « Messieurs, s’écrie-t-il, que voulez-vous ? Ne nous tuez pas : je suis avec