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place des Cordeliers. Les républicains s’étaient emparé de l’église, ils en avaient fait leur quartier-général, et l’environnant de barricades, ils en rendaient les approches mortelles. Rien de plus émouvant et de plus étrange que l’aspect de ce temple devenu le siége d’une révolte désespérée. Dans une des nefs, des ouvriers fabriquaient de la poudre, pendant que, rangés autour d’un grand feu, d’autres s’occupaient à fondre des balles. Une chapelle avait été transformée en ambulance. On y apportait les blessés, dont des prêtres pieux venaient adoucir ou encourager la souffrance, et qu’entourait de soins charitables une jeune fille conduite au milieu de ces scènes de deuil par le plus fort de tous les dévoûments, celui de l’amour. Là commandait un homme à la taille élevée, à l’œil noir, au visage plein d’énergie et de fierté. Son nom était Lagrange. Et jamais chef n’exerça plus souverainement son empire. Prompt à parer à tous les dangers, il courait de barricade en barricade, animait ses compagnons de la voix et du geste, posait et faisait relever les sentinelles, envoyait des renforts sur les points menacés, et couvrait d’une protection magnanime le quartier même où la guerre civile lui avait fatalement assigné son poste. Un agent de police, nommé Corteys, s’était glissé parmi les insurgés. On le découvrit, et on allait le fusiller : Lagrange s’y oppose ; et comme des paroles de soupçon retentissaient, lui, pour toute réponse, il dépasse les limites du camp, se promène tranquille devant le front des troupes, essuie une décharge qui ne l’atteint pas, et revient absous de sa géné-