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Voilà ce que comprirent parfaitement les chefs de la majorité. 1, 297 voix, sur 2, 341 votèrent la suspension des travaux. Et, comme un grand nombre d’ouvriers ne faisaient point partie de l’association, elle envoya dans les divers quartiers de la ville des émissaires chargés de soumettre toute la fabrique lyonnaise au niveau de la loi commune. Quelques ouvriers voulurent résister : on les menaça. Violence blâmable, et qui donnait à une cause juste les couleurs de l’injustice ! L’interdit avait été prononcé dans la journée du 12 février : deux jours après, vingt mille métiers à Lyon avaient cessé de battre !

Comment peindre la consternation qui, à cette nouvelle, régna dans la ville ! On eût dit que, devant les imaginations frappées d’épouvante, le fantôme sanglant de novembre venait tout-à-coup de se dresser. Ce n’étaient plus partout que visages inquiets ou menaçants. On s’interrogeait du regard avec anxiété. Sur toutes les poitrines pesait cet air lourd qui annonce l’approche d’un orage. Chaque jour, la place des Terreaux et les environs se couvraient de rassemblements dont l’aspect était moins animé que sombre ; chaque jour, les rues étaient sillonnées d’émigrants. Car, la frayeur les ayant gagnés, plusieurs fabricants avaient coupé court à leurs affaires, fermé leurs maisons, et se hâtaient vers la campagne pour y chercher un asile.

D’autres restèrent ; et ceux-là, loin de prendre l’alarme, commencèrent à s’exciter réciproquement à de sauvages ardeurs, disant que l’heure d’en finir était venue pour eux ; qu’ils avaient, depuis novem-