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n’aurait point redouté la seconde. Mais comme il n’osait ni appuyer son droit sur la volonté du peuple, ni secouer le patronage des grandes Cours, tout lui faisait ombrage, tout lui était obstacle ; une défaite l’eût anéanti : sa victoire l’embarrassait.

L’embarras était grand, surtout, pour M. Thiers, plus particulièrement responsable des suites. Il avait certainement déployé, dans l’arrestation de la princesse, une résolution extraordinaire[1], et rien ne lui avait coûté, jusque-là qu’il était devenu l’instigateur d’un fourbe dont il épuisa la bassesse. Mais faire courir à sa prisonnière les risques d’une condamnation capitale, il n’y aurait jamais consenti. Déjà, et avant que la duchesse de Berri eût été arrêtée, Deutz ayant écrit de Nantes : « Voulez vous que je vous livre M. de Bourmont ? » M. Thiers avait repoussé cette offre honteuse, pour éviter au

  1. Voici quels furent les premiers rapports de M. Thiers et de Deutz.

    M. Thiers reçut un jour une lettre par laquelle un inconnu le priait de se rendre, dans la soirée, aux Champs-Elysées, lui promettant des communications de la plus haute importance. M. Thiers mande le chef de la police, lui montre la lettre et lui demande conseil. Celui-ci représenta au ministre qu’un pareil rendez-vous était trop bizarre pour ne pas cacher un piège, et qu’il fallait s’abstenir. Mais dominé par un instinct qui le poussait impérieusement à tenter l’aventure, M. Thiers ne tint aucun compte des représentations provoquées par lui-même, et, l’heure du rendez-vous venue, il se dirigea vers les Champs-Elysées, des pistolets dans ses poches. Arrivé au lieu désigné, il aperçut un homme qui paraissait en proie à un trouble mêlé de terreur. Il s’approche, l’aborde : cet homme était Deutz. Là commencèrent les confidences dont un crime devait être le résultat. La nuit suivante, et grâce à quelques mesures ordonnées par le chef de la police, Deutz était secrètement introduit au ministère de l’intérieur. « Vous allez avoir une grande fortune » lui dit M. Thiers. À ces mots, le juif éprouva une émotion si forte que ses jambes tremblèrent et que son visage s’altéra profondément. Le marché de la trahison fut conclu sans peine.