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pour elle. Les ouvriers en soie de Lyon n’étaient pas seulement courbés sous le joug de la misère, ils étaient victimes des plus injustes mépris. Ceux qu’ils enrichissaient feignaient de les regarder comme une race inférieure et avilie ; l’horrible tribut que levaient sur leur jeunesse et sur leur santé, l’habitation malsaine et les fatigues excessives de l’atelier, ne faisait que fournir une arme nouvelle au dédain, et la désignation injurieuse de canuts résumait toutes les formes de leur malheur. Quelles pensées devaient occuper la veille ardente de ces proscrits de la civilisation moderne, lorsque, souvent, au milieu de la nuit, à la lueur d’une lampe brûlant dans un réduit infect, leurs métiers battaient pour l’oisif paisiblement endormi ? Et cependant, leur révolte devait naître non de leur volonté, mais de la fatalité des circonstances, comme si la misère trouvait en elle-même son aliment et le principe de sa durée !

Pour se faire une idée juste du drame sanglant que nous allons écrire, il faut bien connaître l’organisation de la fabrique lyonnaise. Elle était en 1831 ce qu’elle est encore aujourd’hui. L’industrie des soieries occupait de trente à quarante mille ouvriers compagnons. Au-dessus de cette classe vivant au jour le jour, n’ayant ni capital, ni crédit, ni résidence fixe, se trouvait celle des chefs d’atelier, dont le nombre s’élevait à huit ou dix mille, et qui, propriétaires chacun de quatre ou cinq métiers, employaient les compagnons pourvus par eux des instruments de travail, moyennant la retenue de la moitié du salaire payé par le fabricant.