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qu’ils firent à Ménilmontant, au milieu du silence et de la solitude. Après leur séparation, les uns restèrent en France, où ils embrassèrent différentes carrières ; les autres partirent pour l’Orient, qui, remué alors de fond en comble par d’audacieux essais de réforme, semblait appeler les conquêtes de l’intelligence.

Que si on cherche de bonne foi quelle a été l’action du saint-simonisme sur la société française, on verra que cette action est loin d’avoir été stérile. La bourgeoisie, à la vérité, était trop solidement assise, quand les saint-simoniens parurent, pour laisser entamer les principes en vertu desquels sa domination s’était établie ; elle n’accepta donc et ne garda de l’influence des saint-simoniens que ce qui convenait à ses instincts et à ses intérêts, c’est-à-dire un penchant plus prononcé pour les études économiques, une meilleure entente des travaux publics, une manière moins étroite d’envisager l’importance de l’industrie. Quant aux idées des saint-simoniens sur la réhabilitation du principe d’autorité, sur le crédit de l’Etat, sur l’abolition de tous les priviléges de naissance, sur la destruction du prolétariat, et, dans la seconde phase du saint-simonisme, sur la mission religieuse du pouvoir combinée avec l’émancipation des femmes, la bourgeoisie ne pouvait admettre de pareils systèmes, sans prononcer sa propre déchéance. Aussi les repoussa-t-elle avec un emportement sincère et un mépris simulé ; mais ils ne périrent point tout-à-fait pour cela, et ils restèrent comme en dépôt dans les esprits d’élite, où ils devaient germer, et subir de fécondes modifications.