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laissait intact l’étage intermédiaire ; tantôt, s’abattant sur toute la longueur d’une rue, il en respectait un côté, et remplissait l’autre de morts ou de mourants. Fléau capricieux, insaisissable, inexpliqué, que n’avaient pu arrêter les cordons sanitaires et les quarantaines, qui avait dominé les températures les plus opposées, résisté aux influences atmosphériques les plus diverses, et qui ajoutait à l’horreur de ses ravages celle du mystère dont il marchait enveloppé !

Un fait dominant ressortait, néanmoins, de toutes ces poignantes singularités lorsqu’on en vint à dresser la statistique de l’épidémie, il se trouva que, dans les quartiers de la place Vendôme, des Tuileries et de la Chaussée-d’Antin, la mortalité avait été de huit à neuf sur mille, tandis qu’elle avait été de cinquante-deux et cinquante-trois sur mille, dans les quartiers de l’Hôtel-de-Ville et de la Cité, qui sont ceux de la misère.

Quoi qu’il en soit, bientôt l’image de la désolation fut partout. Ici, c’étaient des cholériques qu’on transportait à l’hôpital sur des matelas ou sur des brancards ; là, c’étaient des passants qui, préoccupés des calamités de la veille ou de celles du lendemain, s’en allaient muets et pâles comme des fantômes, et presque tous vêtus de noir. Les corbillards ne suffisant plus, on en avait commandé de nouveaux, dont la construction occupait sept cents ouvriers ; mais la besogne n’allait pas assez vite : les morts attendaient. Alors on voulut faire travailler les ouvriers pendant la nuit ; ils répondirent : « Nous aimons mieux la vie que votre