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publicain. Sa jeunesse avait été laborieuse ; au sein d’une famille atteinte par d’honorables malheurs, il avait souffert beaucoup, et pour lui, et pour un frère dont la destinée devait à jamais rester unie à la sienne, sous les lois de la plus touchante amitié. « Occupe-toi du soin de notre fortune, avait dit à l’autre l’aîné des deux frères moi, je travaillerai à la gloire de notre nom, » et ils étaient entrés de la sorte dans le monde, forts de leur mutuel dévouement. Les rigueurs du sort ne sont fatales qu’aux natures faibles. Garnier-Pagès apportait dans la carrière politique tout ce que l’adversité donne aux natures d’élite : l’habitude de l’observation, la sérénité dans la lutte, une saine appréciation des obstacles, la connaissance des hommes, le sens pratique des choses. Or, ces qualités sont précisément celles que réclame, dans le régime constitutionnel, l’exercice du pouvoir ; elles auraient appelé au ministère un ambitieux en sous-ordre : elles ne servirent qu’à créer à Garnier-Pagès, dans l’Opposition, un rôle important et original. Affable et insinuant, son esprit vif, sa simplicité, sa grâce familière, son langage dont une naïveté de bon goût tempérait la malice, lui valurent bientôt dans le parlement une influence que semblait lui refuser d’avance la hardiesse solitaire de ses opinions. Il est certain qu’il possédait au plus haut degré l’art d’amener ses adversaires à l’aimer dans ses croyances. Quand il parlait, à la chambre, c’était sur tous les bancs une attention pleine de bienveillance. Et en effet, nul ne méritait mieux que lui d’être écouté. Tantôt,