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fatigue, qui ne sont portées qu’aux grands sacrifices, ne consentent à combattre que les grands obstacles, et ne savent se résigner ni à employer des instruments vils, ni à ruser avec les passions humaines. Ce genre d’incapacité, les amis de M. de Chateaubriand le reconnaissaient en lui. Ses ennemis allaient plus loin, ils lui refusaient toutes les qualités de l’homme politique, et ils rappelaient quelles avaient été les manifestations de sa vie active : son faste et ses préoccupations littéraires dans l’exercice du pouvoir ; son indolence, un peu hautaine, au milieu des intrigues de cour ; les ambassades rêvées par lui comme autant de pieux pèlerinages ; son dédain pour les soins vulgaires ; son goût excessif pour les choses d’éclat ; ses prodigalités ; sa fortune même jetée au vent avec la philosophie d’un barde et la magnifique insouciance d’un grand-seigneur. Il est certain que M. de Chateaubriand aurait envisagé volontiers le commandement par son côté poétique. Il aurait voulu monter au faite de la société, pour y jouir d’une perspective plus étendue et plus lumineuse, pour y charmer les hommes en associant à leurs agitations les efforts de sa pensée, pour y composer, en quelque sorte, de vivants poëmes. Eh qu’importe ? Ceux-là seuls agissent fortement sur les peuples, qui portent en eux de quoi s’élever au-dessus dés pensées vulgaires. Napoléon ne l’ignorait pas, lui dont la lecture d’Ossian avait toujours enchanté les loisirs rapides, et qui avait dû à la poésie de ses conceptions, de ses actes, de son langage, une si grande partie de cet ascendant prodigieux qui,