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« La loi, aux époques critiques, n’est qu’une lettre morte, et c’est à cette lettre morte qu’on obéit ; mais il faut aux époques organiques une loi qui se confonde avec le législateur, une loi vivante. Celui-là gouvernera, qui se sentira le plus capable et saura se faire accepter pour tel. » De sorte qu’ils avaient en vue un despotisme personnel et pacifique ayant sa source dans l’adhésion toute volontaire des gouvernés ; ce qui pouvait être exprimé par cette formule : le chef sera le plus aimant et le plus aimé. Or, moins inconséquents dans leurs doctrines, les saint-simoniens auraient compris que, dans un système où la richesse sociale n’est pas distribuée d’une façon purement fraternelle et où la science économique n’est point calquée sur les règles de la famille, le pouvoir du plus aimant et du plus aimé est chimérique et impossible. Car, charger le pouvoir de répartir inégalement les fruits du travail social, c’est l’exposer à des critiques amères et lui préparer des obstacles sans nombre ; lui attribuer le droit d’avoir des préférences, c’est lui faire des ennemis. L’exercice de l’autorité personnelle rendue tôt ou tard odieuse, la haine s’introduisant dans l’association à la suite de la jalousie et l’anarchie à la suite de la haine, c’étaient là les conséquences inévitables du classement des capacités, pour peu qu’on le fit correspondre à l’inégalité des parts. Et arrivé là, que devenait le système ? Il fallait ou qu’il se maintint par la contrainte, ou qu’il s’écroulât.

On verra un peu plus bas comment de cette erreur fondamentale : A chacun sa capacité, à chaque