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cœur. Convaincu, du reste, qu’avant de composer un code pour l’humanité, il faut avoir attentivement analysé les hommes et les choses, il passa la première moitié de sa vie à étudier la société sous tous ses aspects, n’hésitant devant aucune expérience, pratiquant en observateur le vice aussi bien que la vertu, tirant une leçon de chacune de ses chutes, faisant de ses folies la matière de ses études, prompt à dissiper en prodigalités calculées une fortune acquise par des spéculations, pauvre à l’excès au sortir d’une studieuse opulence, vivant d’une misérable place de copiste dans le temps même où il gouvernait le monde en pensée, sage pour quelques-uns, pour la plupart insensé, ardent jusqu’à l’exaltation, puis découragé jusqu’à l’essai du suicide, réduit enfin à mendier, lui qui avait si souvent réuni à sa table, pour les juger, les artistes les plus brillants et les savants les plus célèbres. Telle fut la vie de Saint-Simon : voici quels en furent les résultats intellectuels.

Ainsi que tous les réformateurs Saint-Simon partit du principe de la perfectibilité humaine. Mais comme l’histoire lui montrait l’humanité dans une perpétuelle alternative de despotisme et d’anarchie, de repos et de secousses, il distingua dans la vie des peuples deux sortes d’époques : celles où règne un système, bon ou mauvais ; mais coordonné dans ses diverses parties et généralement accepté, et celles que caractérisent les efforts faits pour passer du régime existant à un régime nouveau. Les premières Saint-Simon les appelait époques organiques ; aux secondes il donnait le nom d’époques cri-