Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

drapeaux, les tambours voilés, des milliers de fronts découverts, les compatriotes du défunt portant écrit sur leur bras le mot Alsace qui semblait les associer au triomphe de cette poussière, la présence au milieu du cortège d’un détachement de vieux soldats mutilés, tout cela formait un spectacle plein de tristesse et de grandeur. Le convoi s’étendit le long des boulevards avec une lenteur extrême. On eût dit de loin une mer immense, presque immobile. Une harmonie sourde, dominée par le son lugubre du tam-tam, annonçait l’approche des restes vénérés. Des visages émus se montrèrent à toutes les fenêtres ; et on laissa glisser sur le cercueil des lauriers ou des fleurs. Mais autour du mort s’agitaient les passions et les projets des vivants. Lorsque le corbillard sortit du temple où l’on s’était arrêté pour prier, il se fit un grand bruit et un grand tumulte. Au Panthéon au Panthéon ! crièrent des voix ardentes. Le préfet de la Seine intervint. « Force restera à la loi, » dit-il. Formule terrible qui, plus tard, retentit sur un autre cercueil, d’où se leva la guerre civile ! On reprit la route du cimetière. Des étudiants coururent faire sur la place du Panthéon l’essai d’une apothéose. Le temps était humide et sombre la nuit descendait sur la ville on s’avança au milieu des tombeaux à la lueur des torches. Lafayette s’était détaché de la foule épaisse des assistants, pour les paroles d’adieu. On le vit tout-à-coup chanceler sur le bord de la fosse qui venait de recevoir son ami, et où il fut sur le point de tomber lui-même. Tout fut dit alors ; et cette multitude s’écoula dans les ténèbres.