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faute d’institutions qui font dépendre uniquement du hasard et de la misère la distribution des fonctions sociales, sans tenir compte ni de la spécialité des vocations, ni de celle des aptitudes, et sans consulter les penchants. Tel était né poète ; la misère le force à être charpentier. Tel était né Louis XVI, avec une propension et des aptitudes marquées pour la mécanique ; le hasard de la naissance le condamne à être roi. Est-il surprenant que la haine du travail trouve place au milieu de ce déclassement universel des aptitudes et dans ce perpétuel étouffement des tendances naturelles ? Qu’on préfère le repos à un travail auquel on ne se sent point propre, vers lequel on n’est point porté, qu’on n’accepte que comme une dure loi de la misère et dont les fatigues sont sans compensation suffisante : quoi de plus simple ? Pour les nègres, à qui la servitude a inspiré l’horreur du travail, le repos absolu, c’est l’idéal de la liberté, et l’on conçoit du reste que la paresse soit fille de l’esclavage.

Mais prenez un ordre social où les fonctions diverses seraient distribuées selon les facultés et les penchants… Y aurait-il paresse générale, alors, dites-moi ? Est-ce que les poètes n’aiment pas à faire des vers, les peintres des tableaux, les mécaniciens des machines ? Est-ce qu’un véritable mathématicien ne se complaît pas à résoudre des problèmes et un véritable architecte à bâtir des maisons ? Est-ce que l’art de cultiver la terre n’a pas des charmes puissants, quand il ne constitue pas un labeur contraint et excessif ?

Je connais des hommes qui, possesseurs d’une fortune colossale, travaillent jusqu’à 12 heures par jour. Je connais des négociants qui, après s’être enrichis, restent dans les affaires afin de ne pas s’exposer à tomber dans l’ennui : tant il est vrai qu’on peut aimer le travail pour lui-même et indépendamment de ce qu’il rapporte, quand on l’a embrassé avec entière liberté et par choix ! De fait, les lois de la nature ne seraient-elles pas dignes de pitié et de mépris, si elle nous avait donné, avec des facultés, une répugnance instinctive à les exercer ; si, en nous donnant des yeux, elle nous avait rendu pénible l’action de voir ; si, en nous donnant des oreilles, elle nous avait rendu pénible l’action d’entendre ? Non, la paresse absolue n’est point pour l’homme un état normal, et elle lui serait un supplice le jour où elle deviendrait