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lu vos auteurs savent aussi bien que vous combien en cela je vous ai épargnés : outre que je n’ai parlé en aucune sorte contre ce qui vous regarde chacun en particulier ; et je serais fâché d’avoir rien dit des fautes secrètes et personnelles, quelque preuve que j’en eusse. Car je sais que c’est le propre de la haine et de l’animosité, et qu’on ne doit jamais le faire, à moins qu’il y en ait une nécessité bien pressante pour le bien de l’Église. Il est donc visible que je n’ai manqué en aucune sorte à la discrétion, dans ce que j’ai été obligé de dire touchant les maximes de votre morale, et que vous avez plus de sujet de vous louer de ma retenue que de vous plaindre de mon indiscrétion.

La troisième règle, mes Pères, est que quand on est obligé d’user de quelques railleries, l’esprit de piété porte à ne les employer que contre les erreurs, et non pas contre les choses saintes ; au lieu que l’esprit de bouffonnerie, d’impiété et d’hérésie, se rit de ce qu’il y a de plus sacré. Je me suis déjà justifié sur ce point ; et on est bien éloigné d’être exposé à ce vice quand on n’a qu’à parler des opinions que j’ai rapportées de vos auteurs.

Enfin, mes Pères, pour abréger ces règles, je ne vous dirai plus que celle-ci, qui est le principe et la fin de toutes les autres : c’est que l’esprit de charité porte à avoir dans le cœur le désir du salut de ceux contre qui on parle, et à adresser ses prières à Dieu en même temps qu’on adresse ses reproches aux hommes. On doit toujours, dit saint Augustin, conserver la charité dans le cœur, lors même qu’on est obligé de faire au-dehors des choses qui paraissent rudes aux hommes, et de les frapper avec une âpreté dure, mais bienfaisante, leur utilité devant être préférée à leur satisfaction. Je crois, mes Pères, qu’il n’y a rien dans mes lettres qui témoigne que je n’aie pas eu ce désir pour vous ; et ainsi la charité vous oblige à croire que je l’ai eu en effet, lorsque vous n’y voyez rien de contraire. Il paraît donc par là que vous ne pouvez montrer que j’aie péché contre cette règle, ni contre aucune de celles que la charité oblige de suivre ; et c’est pourquoi vous n’avez aucun droit de dire que je l’aie blessée en ce que j’ai fait.

Mais si vous voulez, mes Pères, avoir maintenant le plaisir de voir en peu de mots une conduite qui pèche contre chacune de ces règles, et qui porte véritablement le caractère de l’esprit de bouffonnerie, d’envie et de haine, je vous en donnerai des exemples ; et, afin qu’ils vous soient plus connus et plus familiers, je les prendrai de vos écrits mêmes.

Car, pour commencer par la manière indigne dont vos auteurs parlent des choses saintes, soit dans leurs railleries, soit dans leurs galanteries, soit dans leurs discours sérieux, trouvez-vous que tant de contes ridicules de votre P. Binet, dans sa Consolation des malades soient fort propres au dessein qu’il avait pris de consoler chrétiennement ceux que Dieu afflige ? Direz-vous que la manière si profane et si coquette dont votre P. Le Moyne a parlé de la piété dans sa Dévotion Aisée, soit plus propre à donner du respect que du mépris pour l’idée qu’il forme de la vertu chrétienne ? Tout son livre des Peintures Morales respire-t-il autre chose, et dans sa prose et dans ses vers, qu’un esprit plein de la vanité et des folies du monde ? Est-ce une pièce digne d’un prêtre que cette ode du 7. livre intitulée : Eloge de la pudeur, où il est montré que toutes les belles choses sont rouges, ou sujettes à rougir ? C’est ce qu’il fit pour consoler une dame, qu’il appelle Delphine, de ce qu’elle rougissait souvent. Il dit donc, à chaque stance, que quelques-unes des choses les plus estimées sont rouges, comme les roses, les grenades, la bouche, la langue ; et c’est parmi ces galanteries, honteuses à un religieux, qu’il ose mêler insolemment ces esprits bienheureux qui assistent devant Dieu, et dont les Chrétiens ne doivent parler qu’avec vénération :