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Du 18 août 1656.

Mes Révérends Pères,

J’ai vu les lettres que vous débitez contre celles que j’ai écrites à un de mes amis sur le sujet de votre morale, où l’un des principaux points de votre défense est que je n’ai pas parlé assez sérieusement de vos maximes : c’est ce que vous répétez dans tous vos écrits, et que vous poussez jusqu’à dire Que j’ai tourné les choses saintes en raillerie.

Ce reproche, mes Pères, est bien surprenant et bien injuste ; car en quel lieu trouvez-vous que je tourne les choses saintes en raillerie ? Vous marquez en particulier le contrat Mohatra, et l’histoire de Jean d’Alba. Mais est-ce cela que vous appelez des choses saintes ? Vous semble-t-il que le Mohatra soit une chose si vénérable, que ce soit un blasphème de n’en pas parler avec respect ? Et les leçons du P. Bauny pour le larcin, qui portèrent Jean d’Alba à le pratiquer contre vous-mêmes, sont-elles si sacrées, que vous ayez droit de traiter d’impies ceux qui s’en moquent ?

Quoi ! mes Pères, les imaginations de vos auteurs passeront pour les vérités de la foi, et on ne pourra se moquer des passages d’Escobar, et des décisions si fantasques et si peu chrétiennes de vos autres auteurs, sans qu’on soit accusé de rire de la religion ? Est-il possible que vous ayez osé redire si souvent une chose si peu raisonnable ? et ne craignez-vous point, en me blâmant de m’être moqué de vos égarements, de me donner un nouveau sujet de me moquer de ce reproche, et de le faire retomber sur vous-mêmes, en montrant que je n’ai pris sujet de rire que de ce qu’il y a de ridicule dans vos livres ; et qu’ainsi, en me moquant de votre morale, j’ai été aussi éloigné de me moquer des choses saintes, que la doctrine de vos casuistes est éloignée de la doctrine sainte de l’Evangile ?

En vérité, mes Pères, il y a bien de la différence entre rire de la religion, et rire de ceux qui la profanent par leurs opinions extravagantes. Ce serait une impiété de manquer de respect pour les vérités que l’esprit de Dieu a révélées : mais ce serait une autre impiété de manquer de mépris pour les faussetés que l’esprit de l’homme leur oppose.

Car, mes Pères, puisque vous m’obligez d’entrer en ce discours, je vous prie de considérer que, comme les vérités chrétiennes sont dignes d’amour et de respect, les erreurs qui leur sont contraires sont dignes de mépris et de haine, parce qu’il y a deux choses dans les vérités de notre religion : une beauté divine qui les rend aimables, et une sainte majesté qui les rend vénérables ; et qu’il y a aussi deux choses dans les erreurs : l’impiété qui les rend horribles, et l’impertinence qui les rend ridicules. C’est pourquoi, comme les saints ont toujours pour la vérité ces deux sentiments d’amour et de crainte, et que leur sagesse est toute comprise entre la crainte qui en est le principe, et l’amour qui en est la fin, les saints ont aussi pour l’er-