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ctus sequatur. On ne peut rien désirer de plus à l’avantage de l’attrition. Je le crois, mon Père ; mais souffrez que je vous en dise mon sentiment, et que je vous fasse voir à quel excès cette doctrine conduit. Lorsque vous dites que l’attrition conçue par la seule crainte des peines suffit avec le Sacrement pour justifier les pécheurs, ne s’ensuit-il pas de là qu’on pourra toute sa vie expier ses péchés de cette sorte, et ainsi être sauvé sans avoir jamais aimé Dieu en sa vie ? Or vos Pères oseraient-ils soutenir cela ?

Je vois bien, répondit le Père, par ce que vous me dites, que vous avez besoin de savoir la doctrine de nos Pères touchant l’amour de Dieu. C’est le dernier trait de leur morale, et le plus important de tous. Vous deviez l’avoir compris par les passages que je vous ai cités de la contrition. Mais en voici d’autres plus précis sur l’amour de Dieu ; ne m’interrompez donc pas, car la suite même en est considérable. Ecoutez Escobar, qui rapporte les opinions différentes de nos auteurs sur ce sujet, dans la Pratique de l’Amour de Dieu selon notre Société, au tr. I, ex. 2, n. 21 et tr. 5, ex. 4, n. 8, sur cette question : Quand est-on obligé d’avoir affection actuellement pour Dieu ? Suarez dit que c’est assez, si on l’aime avant l’article de la mort, sans déterminer aucun temps ; Vasquez, qu’il suffit encore à l’article de la mort ; d’autres, quand on reçoit le Baptême ; d’autres, quand on est obligé d’être contrit ; d’autres, les jours de fêtes. Mais notre Père Castro Palao combat toutes ces opinions-là, et avec raison, merito. Hurtado de Mendoza prétend qu’on y est obligé tous les ans, et qu’on nous traite bien favorablement encore de ne nous y obliger pas plus souvent ; mais notre Père Coninch croit qu’on y est obligé en trois ou quatre ans ; Henriquez tous les cinq ans, et Filiutius dit qu’il est probable qu’on n’y est pas obligé à la rigueur tous les cinq ans. Et quand donc ? Il le remet au jugement des sages. Je laissai passer tout ce badinage, où l’esprit de l’homme se joue si insolemment de l’amour de Dieu. Mais, poursuivit-il, notre P. Antoine Sirmond, qui triomphe sur cette matière dans son admirable livre de la Défense de la vertu, où il parle français en France, comme il dit au lecteur, discourt ainsi au 2e tr., sect. 1, pag. 12, 13, 14, etc. : Saint Thomas dit qu’on est obligé à aimer Dieu aussitôt après l’usage de raison : c’est un peu bientôt. Scotus, chaque dimanche : sur quoi fondé ? D’autres, quand on est grièvement tenté : oui, en cas qu’il n’y eût que cette voie de fuir la tentation. Sotus, quand on reçoit un bienfait de Dieu : bon pour l’en remercier. D’autres, à la mort : c’est bien tard. Je ne crois pas non plus que ce soit à chaque réception de quelque sacrement : l’attrition y suffit avec la confession, si on en a la commodité. Suarez dit qu’on y est obligé en un temps : mais en quel temps ? Il vous en fait juge, et il n’en sait rien. Or ce que ce Docteur n’a pas su, je ne sais qui le sait. Et il conclut enfin qu’on n’est obligé à autre chose à la rigueur, qu’à observer les autres commandements, sans aucune affection pour Dieu, et sans que notre cœur soit à lui, pourvu qu’on ne le haïsse pas. C’est ce qu’il prouve en tout son second traité. Vous le verrez à chaque page, et entre autres aux 16, 19, 24, 28, où il dit ces mots : Dieu, en nous commandant de l’aimer, se contente que nous lui obéissions en ses autres commandements. Si Dieu eût dit : Je vous perdrai, quelque obéissance que vous me rendiez, si de plus votre cœur n’est à moi : ce motif, à votre avis, eût-il été bien proportionné à la fin que Dieu a dû et a pu avoir ? Il est donc dit que nous aimerons Dieu en faisant sa volonté, comme si nous l’aimions d’affection, comme si le motif de la charité nous y portait. Si cela arrive réellement, encore mieux : sinon, nous ne laisserons pas pourtant d’obéir en rigueur au commandement d’amour, en ayant les œuvres, de façon que (voyez la bonté de Dieu) il ne nous est pas tant commandé de l’aimer que de ne le point haïr.

C’est ainsi que nos Pères ont déchargé les hommes de l’obligation pénible d’aimer Dieu actuellement ; et cette doctrine est si avantageuse, que nos Pères Annat, Pinthereau, Le Moyne et A. Sirmond même l’ont défendue vigoureusement, quand on a voulu la combattre. Vous n’avez qu’à le voir dans leurs réponses à la Théo-