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homme soit digne de recevoir l’absolution quand il ne veut rien faire de pénible pour expier ses offenses ? Et quand des personnes sont en cet état, ne devriez-vous pas plutôt leur retenir leurs péchés que de leur remettre ? Avez-vous l’idée véritable de l’étendue de votre ministère ? et ne savez-vous pas que vous y exercez le pouvoir de lier et délier ? Croyez-vous qu’il soit permis de donner l’absolution indifféremment à tous ceux qui la demandent, sans reconnaître auparavant si Jésus-Christ délie dans le ciel ceux que vous déliez sur la terre ? Eh quoi ! dit le Père, pensez-vous que nous ignorions que le confesseur doit se rendre juge de la disposition de son pénitent, tant parce qu’il est obligé de ne pas dispenser les sacrements à ceux qui en sont indignes, Jésus-Christ lui ayant ordonné d’être dispensateur fidèle, et de ne pas donner les choses saintes aux chiens, que parce qu’il est juge, et que c’est le devoir d’un juge de juger justement, en déliant ceux qui en sont dignes, et liant ceux qui en sont indignes, et aussi parce qu’il ne doit pas absoudre ceux que Jésus-Christ condamne ? De qui sont ces paroles-là, mon Père ? De notre Père Filiutius, répliqua-t-il, to. I, tr. 7, n. 354. Vous me surprenez, lui dis-je ; je les prenais pour être d’un des Pères de l’Église. Mais, mon Père, ce passage doit bien étonner les confesseurs et les rendre bien circonspects dans la dispensation de ce sacrement, pour reconnaître si le regret de leurs pénitents est suffisant, et si les promesses qu’ils donnent de ne plus pécher à l’avenir sont recevables. Cela n’est point du tout embarrassant, dit le Père. Filiutius n’avait garde de laisser les confesseurs dans cette peine ; et c’est pourquoi, ensuite de ces paroles, il leur donne cette méthode facile pour en sortir : Le confesseur peut aisément se mettre en repos, touchant la disposition de son pénitent ; car s’il ne donne pas des signes suffisants de douleur, le confesseur n’a qu’à lui demander s’il ne déteste pas le péché dans son âme ; et s’il répond que oui, il est obligé de l’en croire. Et il faut dire la même chose de la résolution pour l’avenir, à moins qu’il y eût quelque obligation de restituer ou de quitter quelque occasion prochaine. Pour ce passage, mon Père, je vois bien qu’il est de Filiutius. Vous vous trompez, dit le Père : car il a pris tout cela mot à mot de Suarez, in 3 part., to. 4, disp. 32, Sect. 2, n. 2. Mais, mon Père, ce dernier passage de Filiutius détruit ce qu’il avait établi dans le premier ; car les confesseurs n’auront plus le pouvoir de se rendre juges de la disposition de leurs pénitents, puisqu’ils sont obligés de les en croire sur leur parole, lors même qu’ils ne donnent aucun signe suffisant de douleur. Est-ce qu’il y a tant de certitude dans ces paroles qu’on donne, que ce seul signe soit convaincant ? Je doute que l’expérience ait fait connaître à vos Pères que tous ceux qui leur font ces promesses les tiennent, et je suis trompé s’ils n’éprouvent souvent le contraire. Cela n’importe, dit le Père ; on ne laisse pas d’obliger toujours les confesseurs à les croire : car le P. Bauny, qui a traité cette question à fond dans sa Somme des péchés, c. 46, p. 1090, 1091, et 1092, conclut que toutes les fois que ceux qui récidivent souvent, sans qu’on y voie aucun amendement, se présentent au confesseur, et lui disent qu’ils ont regret du passé et bon dessein pour l’avenir, il les en doit croire sur ce qu’ils le disent, quoiqu’il soit à présumer telles résolutions ne passer pas le bout des lèvres. Et quoiqu’ils se portent ensuite avec plus de liberté et d’excès que jamais dans les mêmes fautes, on peut néanmoins leur donner l’absolution selon mon opinion. Voilà, je m’assure, tous vos doutes bien résolus.

Mais, mon Père, lui dis-je, je trouve que vous imposez une grande charge aux confesseurs, en les obligeant de croire le contraire de ce qu’ils voient. Vous n’entendez pas cela, dit-il ; on veut dire par là qu’ils sont obligés d’agir et d’absoudre, comme s’ils croyaient que cette résolution fût ferme et constante, encore qu’ils ne le croient pas en effet. Et c’est ce que nos PP. Suarez et Filiutius expliquent ensuite des passages de tantôt. Car après avoir dit que le prêtre est obligé de croire son pénitent sur sa parole, ils ajoutent qu’il n’est pas nécessaire que le confesseur se persuade que la résolution