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Point du tout, dit-il: car Escobar, en ce même endroit, donne des expédients pour le rendre permis: encore même, dit-il, que celui qui vend et achète ait pour intention principale le dessein de profiter, pourvu seulement qu'en vendant il n'excède pas le plus haut prix des étoffes de cette sorte, et qu'en rachetant il n'en passe pas le moindre, et qu'on n'en convienne pas auparavant en termes exprès ni autrement. Mais Lessius, De Just. L. 2, ch. 21, d. 16, dit qu'encore même qu'on eût vendu dans l'intention de racheter à moindre prix, on n'est jamais obligé à rendre ce profit, si ce n'est peut-être par charité, au cas que celui de qui on l'exige fût dans l'indigence, et encore pourvu qu'on le pût rendre sans s'incommoder; si commode potest. Voilà tout ce qui se peut dire. En effet, mon Père, je crois qu'une plus grande indulgence serait vicieuse. Nos Pères, dit-il, savent si bien s'arrêter où il faut! Vous voyez assez par là l'utilité du Mohatra.

J'aurais bien encore d'autres méthodes à vous enseigner; mais celles-là suffisent, et j'ai à vous entretenir de ceux qui sont mal dans leurs affaires. Nos Pères ont pensé à les soulager selon l'état où ils sont; car, s'ils n'ont pas assez de bien pour subsister honnêtement, et tout ensemble pour payer leurs dettes, on leur permet d'en mettre une partie à couvert en faisant banqueroute à leurs créanciers. C'est ce que notre Père Lessius a décidé, et qu'Escobar confirme au tr. 3, ex. 2, n. 163: Celui qui fait banqueroute peut-il, en sûreté de conscience, retenir de ses biens autant qu'il est nécessaire pour faire subsister sa famille avec honneur, ne indecore vivat? Je soutiens que oui avec Lessius; et même encore qu'il les eût gagnés par des injustices et des crimes connus de tout le monde, ex [injustitia] et notorio delicto quoiqu'en ce cas il n'en puisse pas retenir en une aussi grande quantité qu'autrement. Comment! mon Père, par quelle étrange charité voulez-vous que ces biens demeurent plutôt à celui qui les a gagnés par ses voleries, pour le faire subsister avec honneur, qu'à ses créanciers, à qui ils appartiennent légitimement? On ne peut pas, dit le Père, contenter tout le monde, et nos Pères ont pensé particulièrement à soulager ces misérables. Et c'est encore en faveur des indigents que notre grand Vasquez, cité par Castro Palao, t. I, tr. 6, d. 6, p. 6, n. 12, dit que, quand on voit un voleur résolu et prêt à voler une personne pauvre, on peut, pour l'en détourner, lui assigner quelque personne riche en particulier, pour le voler au lieu de l'autre. Si vous n'avez pas Vasquez, ni Castro Palao, vous trouverez la même chose dans votre Escobar; car, comme vous le savez, il n'a presque rien dit qui ne soit pris de vingt-quatre des plus célèbres de nos Pères; c'est au tr. 5, ex. 5, n. 120: La pratique de notre Société pour la charité envers le prochain.

Cette charité est véritablement extraordinaire, mon Père, de sauver la perte de l'un par le dommage de l'autre. Mais je crois qu'il faudrait la faire entière, et que celui qui a donné ce conseil serait ensuite obligé en conscience de rendre à ce riche le bien qu'il lui aurait fait perdre. Point du tout, me dit-il, car il ne l'a pas volé lui-même, il n'a fait que le conseiller à un autre. Or écoutez cette sage résolution de notre Père Bauny sur un cas qui vous étonnera donc encore bien davantage, et où vous croiriez qu'on serait beaucoup plus obligé de restituer. C'est au ch. 13 de sa Somme. Voici ses propres termes français: Quelqu'un prie un soldat de battre son voisin, ou de brûler la grange d'un homme qui l'a offensé. On demande si, au défaut du soldat, l'autre qui l'a prié de faire tous ces outrages doit réparer du sien le mal qui en sera issu. Mon sentiment est que non. Car à restitution nul n'est tenu, s'il n'a violé la justice. La viole-t-on quand on prie autrui d'une faveur? Quelque demande qu'on lui en fasse, il demeure toujours libre de l'octroyer ou de la nier. De quelque côté qu'il encline, c'est sa volonté qui l'y porte; rien ne l'y oblige que la bonté, que la douceur et la facilité de son esprit. Si donc ce soldat ne répare le mal qu'il aura fait, il n'y faudra astreindre celui à la prière duquel il aura offensé l'innocent. Ce passage pensa rompre notre entretien: car je fus sur le point d'éclater de rire de la bonté et douceur d'un brûleur de grange, et de ces étranges raisonnements qui exemptent de restitution le premier et véritable