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ex. 7, n. 96, et, au n. 98, il ajoute ces paroles de Hurtado: Qu'on peut se battre en duel pour défendre même son bien, s'il n'y a que ce moyen de le conserver; parce que chacun a le droit de défendre son bien, et même par la mort de ses ennemis. J'admirai sur ces passages de voir que la piété du roi emploie sa puissance à défendre et à abolir le duel dans ses états, et que la piété des Jésuites occupe leur subtilité à le permettre et à l'autoriser dans l'Eglise. Mais le bon Père était si en train, qu'on lui eût fait tort de l'arrêter, de sorte qu'il poursuivit ainsi: Enfin, dit-il, Sanchez (voyez un peu quels gens je vous cite!) passe outre; car il permet non seulement de recevoir, mais encore d'offrir le duel en dirigeant bien son intention. Et notre Escobar le suit en cela au même lieu, n. 97. Mon Père, lui dis-je, je le quitte, si cela est; mais je ne croirai jamais qu'il l'ait écrit, si je ne le vois. Lisez-le donc vous-même, me dit-il; et je lus en effet ces mots dans la Théologie morale de Sanchez, l. 2, c. 29, n. 7. Il est bien raisonnable de dire qu'un homme peut se battre en duel pour sauver sa vie, son honneur, ou son bien en une quantité considérable, lorsqu'il est constant qu'on les lui veut ravir injustement par des procès et des chicaneries, et qu'il n'y a que ce seul moyen de les conserver. Et Navarrus dit fort bien qu'en cette occasion il est permis d'accepter et d'offrir le duel: Licet acceptare et offerre duellum. Et aussi qu'on peut tuer en cachette son ennemi. Et même, en ces rencontres-là, on ne doit point user de la voie du duel, si on peut tuer en cachette son homme, et sortir par là d'affaire: car, par ce moyen, on évitera tout ensemble, et d'exposer sa vie dans un combat, et de participer au péché que notre ennemi commettrait par un duel.

Voilà, mon Père, lui dis-je, un pieux guet-apens: mais, quoique pieux, il demeure toujours guet-apens, puisqu'il est permis de tuer son ennemi en trahison. Vous ai-je dit, répliqua le Père, qu'on peut tuer en trahison? Dieu m'en garde! Je vous dis qu'on peut tuer en cachette, et de là vous concluez qu'on peut tuer en trahison, comme si c'était la même chose. Apprenez d'Escobar, tr. 6, ex. 4, n. 26, ce que c'est que tuer en trahison, et, puis vous parlerez. On appelle tuer en trahison, quand on tue celui qui ne s'en défie en aucune manière. Et c'est pourquoi celui qui tue son ennemi n'est pas dit le tuer en trahison, quoique ce soit par derrière ou dans une embûche: licet per insidias, aut a tergo percutiat. Et au même traité, n. 56: Celui qui tue son ennemi avec lequel il s'était réconcilié, sous promesse de ne plus attenter à sa vie, n'est pas absolument dit le tuer en trahison, à moins qu'il n'y eût entre eux une amitié bien étroite: arctior amicitia.

Vous voyez par là que vous ne savez pas seulement ce que les termes signifient, et cependant vous parlez comme un docteur. J'avoue, lui dis-je, que cela m'est nouveau; et j'apprends de cette définition qu'on n'a peut-être jamais tué personne en trahison; car on ne s'avise guère d'assassiner que ses ennemis; mais, quoi qu'il en soit, on peut donc, selon Sanchez, tuer hardiment, je ne dis plus en trahison, mais seulement par derrière, ou dans une embûche, un calomniateur qui nous poursuit en justice? Oui, dit le Père, mais en dirigeant bien l'intention; vous oubliez toujours le principal. Et c'est ce que Molina soutient aussi, t. 4, tr. 3, disp. 12. Et même, selon notre docte Reginaldus, I. 21, c. 5, n. 57: On peut tuer aussi les faux témoins qu'il suscite contre nous. Et enfin, selon nos grands et célèbres Pères Tannerus et Emmanuel Sa, on peut de même tuer et les faux témoins et le juge, s'il est de leur intelligence. Voici ses mots, t. 3, disp. 4, q. 8, n. 83: Sotus, dit-il, et Lessius disent qu'il n'est pas permis de tuer les faux témoins et le juge qui conspirent à faire mourir un innocent; mais Emmanuel Sa et d'autres auteurs ont raison d'improuver ce sentiment-là, au moins