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une opinion probable: à quoi je réponds qu'oui; et c'est ce qu'assurent Angelus, Sylv., Navarre , Emmanuel Sa, etc. Et voici comme on le prouve. Une opinion probable est celle qui a un fondement considérable: or l'autorité d'un homme savant et pieux n'est pas de petite considération, mais plutôt de grande considération; car, écoutez bien cette raison: Si le témoignage d'un tel homme est de grand poids pour nous assurer qu'une chose se soit passée, par exemple, à Rome, pourquoi ne le sera-t-il pas de même dans un doute de morale?

La plaisante comparaison, lui dis-je, des choses du monde à celles de la conscience! Ayez patience; Sanchez répond à cela dans les lignes qui suivent immédiatement.

Et la restriction qu'y apportent certains auteurs ne me plaît pas: que l'autorité d'un tel docteur est suffisante dans les choses de droit humain, mais non pas dans celles de droit divin; car elle est de grand poids dans les uns et dans les autres.

Mon Père, lui dis-je franchement, je ne puis faire cas de cette règle. Qui m'a assuré que dans la liberté que vos docteurs se donnent d'examiner les choses par la raison, ce qui paraîtra sûr à l'un le paraisse à tous les autres? La diversité des jugements est si grande... Vous ne l'entendez pas, dit le Père en m'interrompant; aussi sont-ils fort souvent de différents avis; mais cela n'y fait rien: chacun rend le sien probable et sûr. Vraiment l'on sait bien qu'ils ne sont pas tous de même sentiment; et cela n'en est que mieux. Ils ne s'accordent au contraire presque jamais. Il y a peu de questions où vous ne trouviez que l'un dit oui, l'autre dit non. Et en tous ces cas-là, l'une et l'autre des opinions contraires est probable; et c'est pourquoi Diana dit sur un certain sujet, Part. 3, To. IV; R. 244: Ponce et Sanchez sont de contraires avis; mais, parce qu'ils étaient tous deux savants, chacun rend son opinion probable.

Mais, mon Père, lui dis-je, on doit être bien embarrassé à choisir alors! Point du tout, dit-il, il n'y a qu'à suivre l'avis qui agrée le plus. Et quoi! si l'autre est plus probable? Il n'importe, me dit-il. Et si l'autre est plus sûr? Il n'importe, me dit encore le Père; le voici bien expliqué. C'est Emmanuel Sa de notre Société, dans son Aphorisme de Dubio, p. 183: On peut faire ce qu'on pense être permis selon une opinion probable, quoique le contraire soit plus sûr. Or l'opinion d'un seul docteur grave y suffi. Et si une opinion est tout ensemble et moins probable et moins sûre, sera-t-il permis de la suivre, en quittant ce que l'on croit être plus probable et plus sûr? Oui, encore une fois, me dit-il, écoutez Filiutius, ce grand Jésuite de Rome, Mor. quoest Tr. 21, c. 4, n. 128: Il est permis de suivre l'opinion la moins probable, quoiqu'elle soit la moins sûre; c'est l'opinion commune des nouveaux auteurs. Cela n'est-il pas clair? Nous voici bien au large, lui dis-je, mon Révérend Père, grâces à vos opinions probables. Nous avons une belle liberté de conscience. Et vous autres casuistes, avez-vous la même liberté dans vos réponses? Oui, me dit-il, nous répondons aussi ce qu'il nous plaît, ou plutôt ce qu'il plaît à ceux qui nous interrogent; car voici nos règles, prises de nos Pères Layman, Theol. Mor. l. I, tr. I, c. 2, § 2, n. 7; Vasquez, Dist. 62, c. 9, n. 47; Sanchez; in Sum., L. I, c. 9, n. 23; et de nos vingt-quatre, Princ. ex. 3, n. 24. Voici les paroles de Layman, que le livre de nos vingt-quatre a suivies: Un docteur étant consulté peut donner un conseil, non seulement probable selon son opinion, mais contraire à son opinion, s'il est estimé probable par d'autres, lorsque cet avis contraire au sien se rencontre plus favorable et plus agréable à celui qui le consulte, si forte haec illi favorabilior seu exoptatior sit. Mais je dis de plus qu'il ne sera point hors de raison qu'il donne à ceux qui le consultent un avis tenu pour probable par quelque personne savante, quand même il s'assurerait qu'il serait absolument faux.

Tout de bon, mon Père, votre doctrine est bien commode. Quoi! avoir à répondre oui et non à son choix? On ne peut assez priser un