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Mais le même saint Augustin qui dit, que saint Pierre était juste, dit qu'il n'avait pas eu la grâce en cette rencontre. Est-ce en ce qu'il dit: Que sans la grâce on ne peut rien? Mais n'est-ce pas ce que saint Augustin dit au même endroit, et ce que saint Chrysostome même avait dit avant lui, avec cette seule différence, qu'il l'exprime d'une manière bien plus forte, comme en ce qu'il dit: Que sa chute n'arriva pas par sa froideur, ni par sa négligence, mais par le défaut de la grâce, et par l'abandon de Dieu?

Toutes ces considérations tenaient tout le monde en haleine, pour apprendre en quoi consistait donc cette diversité, lorsque cette censure si célèbre et si attendue a enfin paru après tant d'assemblées. Mais, hélas! elle a bien frustré notre attente. Soit que les docteurs Molinistes n'aient pas daigné s'abaisser jusqu'à nous en instruire, soit pour quelque autre raison secrète, ils n'ont fait autre chose que prononcer ces paroles: Cette proposition est téméraire, impie, blasphématoire, frappée d'anathème et hérétique.

Croiriez-vous, Monsieur, que la plupart des gens, se voyant trompés dans leur espérance, sont entrés en mauvaise humeur, et s'en prennent aux censeurs mêmes? Ils tirent de leur conduite des conséquences admirables pour l'innocence de M. Arnauld. Eh quoi! disent-ils, est-ce là tout ce qu'ont pu faire, durant si longtemps, tant de docteurs si acharnés sur un seul, que de ne trouver dans tous ses ouvrages que trois lignes à reprendre, et qui sont tirées des propres paroles des plus grands docteurs de l'Eglise grecque et latine? Y a-t-il un auteur qu'on veuille perdre, dont les écrits n'en donnent un plus spécieux prétexte? et quelle plus haute marque peut-on produire de la foi de cet illustre accusé?

D'où vient, disent-ils, qu'on pousse tant d'imprécations qui se trouvent dans cette censure, où l'on assemble tous ces termes, de poison, de peste, d'horreur, de témérité, d'impiété, de blasphème, d'abomination, d'exécration, d'anathème, d'hérésie, qui sont les plus horribles expressions qu'on pourrait former contre Arius, et contre l'Antéchrist même, pour combattre une hérésie imperceptible, et encore sans la découvrir? Si c'est contre les paroles des Pères qu'on agit de la sorte, où est la foi et la tradition? Si c'est contre la proposition de M. Arnauld, qu'on nous montre en quoi elle en est différente, puisqu'il ne nous en paraît autre chose qu'une parfaite conformité. Quand nous en reconnaîtrons le mal, nous l'aurons en détestation; mais tant que nous ne le verrons point, et que