que cela serait suffisant pour vous nourrir, sous prétexte qu'avec autre chose qu'il ne vous donnerait pas, vous auriez tout ce qui vous serait nécessaire pour vous nourrir? Comment donc vous laissez-vous aller à dire que tous les hommes ont la grâce suffisante pour agir, puisque vous confessez qu'il y en a un autre absolument nécessaire pour agir, que tous n'ont pas? Est-ce que cette créance est peu importante, et que vous abandonnez à la liberté des hommes de croire que la grâce efficace est nécessaire ou non? Est-ce une chose indifférente de dire qu'avec la grâce suffisante on agit en effet? Comment, dit ce bon homme, indifférente! C'est une hérésie, c'est une hérésie formelle. La nécessité de la grâce efficace pour agir effectivement est de foi; il y a hérésie à la nier.
Où en sommes-nous donc? m'écriai-je, et quel parti dois-je ici prendre? Si je nie la grâce suffisante, je suis Janséniste; si je l'admets comme les Jésuites, en sorte que la grâce efficace ne soit pas nécessaire, je serai hérétique, dites-vous. Et si je l'admets comme vous, en sorte que la grâce efficace soit nécessaire, je pèche contre le sens commun, et je suis extravagant, disent les Jésuites. Que dois-je donc faire dans cette nécessité inévitable d'être ou extravagant, ou hérétique, ou Janséniste? Et en quels termes sommes-nous réduits, s'il n'y a que les Jansénistes qui ne se brouillent ni avec la foi ni avec la raison, et qui se sauvent tout ensemble de la folie et de l'erreur?
Mon ami Janséniste prenait ce discours à bon présage, et me croyait déjà gagné. Il ne me dit rien néanmoins; mais en s'adressant à ce Père: dites-moi, je vous prie, mon Père, en quoi vous êtes conformes aux Jésuites. C'est, dit-il, en ce que les Jésuites et nous reconnaissons les grâces suffisantes données à tous. Mais, lui dit-il, il y a deux choses dans ce mot de grâce suffisante: il y a le son, qui n'est que du vent; et la chose qu'il signifie, qui est réelle et effective. Et ainsi, quand vous êtes d'accord avec les Jésuites touchant le mot de suffisante, et que vous leur êtes contraires dans le sens, il est visible que vous êtes contraires touchant la substance de ce terme, et que vous n'êtes d'accord que du son. Est-ce là agir sincèrement et cordialement? Mais quoi! dit le bon homme, de quoi vous plaignez-vous, puisque nous ne trahissons personne par cette manière de parler? car dans nos écoles, nous disons ouvertement que nous l'entendons d'une manière contraire aux Jésuites. Je me plains, lui dit mon ami, de ce que vous ne publiez pas de toutes parts que vous entendez par grâce suffisante la grâce qui n'est pas suffisante. Vous êtes obligés en conscience,