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sur un point de fait. Enfin vous remuez toutes choses pour faire croire que ce point de fait est véritable, et jamais on ne fut plus disposé à en douter. Et la raison en est facile : c’est, mon Père, que vous ne prenez pas les voies naturelles pour faire croire un point de fait, qui sont de convaincre les sens, et de montrer dans un livre les mots que l’on dit y être. Mais vous allez chercher des moyens si éloignés de cette simplicité, que cela frappe nécessairement les plus stupides. Que ne preniez-vous la même voie que j’ai tenue dans mes lettres pour découvrir tant de mauvaises maximes de vos auteurs, qui est de citer fidèlement les lieux d’où elles sont tirées ? C’est ainsi qu’ont fait les Curés de Paris ; et cela ne manque jamais de persuader le monde. Mais qu’auriez-vous dit, et qu’aurait-on pensé, lorsqu’ils vous reprochèrent, par exemple, cette proposition du P. Lamy : Qu’un religieux peut tuer celui qui menace de publier des calomnies contre lui ou contre sa communauté, quand il ne s’en peut défendre autrement, s’ils n’avaient point cité le lieu où elle est en propres termes ; que, quelque demande qu’on leur en eût faite, ils se fussent toujours obstinés à le refuser ; et qu’au lieu de cela, ils eussent été à Rome obtenir une Bulle qui ordonnât à tout le monde de le reconnaître ? N’aurait-on pas jugé sans doute qu’ils auraient surpris le Pape, et qu’ils n’auraient eu recours à ce moyen extraordinaire que manque des moyens naturels que les vérités de fait mettent en main à tous ceux qui les soutiennent ? Aussi ils n’ont fait que marquer que le Père Lamy enseigne cette doctrine au to. 5, disp. 36, n. 118, p. 544 de l’édition de Douai ; et ainsi tous ceux qui l’ont voulu voir l’ont trouvée, et personne n’en a pu douter. Voilà une manière bien facile et bien prompte de vider les questions de fait où l’on a raison.

D’où vient donc, mon Père, que vous n’en usez pas de la sorte ? Vous avez dit, dans vos Cavilli, que les cinq propositions sont dans Jansénius mot à mot, toutes, en propres termes, iisdem verbis. On vous a dit que non. Qu’y avait-il à faire là-dessus, sinon ou de citer la page, si vous les aviez vues en effet, ou de confesser que vous vous étiez trompé ? Mais vous ne faites ni l’un ni l’autre, et, au lieu de cela, voyant bien que tous les endroits de Jansénius, que vous alléguez quelquefois pour éblouir le monde, ne sont point les propositions condamnées, individuelles et singulières que vous vous étiez engagé de faire voir dans son livre, vous nous présentez des Constitutions qui déclarent qu’elles en sont extraites, sans marquer le lieu.

Je sais, mon Père, le respect que les Chrétiens doivent au Saint-Siège, et vos adversaires témoignent assez d’être très résolus à ne s’en départir jamais. Mais ne vous imaginez pas que ce fût en manquer que de représenter au Pape, avec toute la soumission que des enfants doivent à leur père, et les membres à leur chef, qu’on peut l’avoir surpris en ce point de fait ; qu’il ne l’a point fait examiner depuis son pontificat, et que son prédécesseur Innocent X avait fait seulement examiner si les propositions étaient hérétiques, mais non pas si elles étaient de Jansénius. Ce qui a fait dire au Commissaire du Saint-Office, l’un des principaux examinateurs, qu’elles ne pouvaient être censurées au sens d’aucun auteur : non sunt qualificabiles in sensu proferentis ; parce qu’elles leur avaient été présentées pour être examinées en elles-mêmes, et sans considérer de quel auteur elles pouvaient être : in abstracto, et ut praescindunt ab omni proferente, comme il se voit dans leurs suffrages nouvellement imprimés : que plus de soixante docteurs, et un grand nombre d’autres personnes habiles et pieuses ont lu ce livre exactement sans les y avoir jamais vues, et qu’ils y en ont trouvé de contraires ; que ceux qui ont donné cette impression au Pape pourraient bien avoir abusé de la créance qu’il a en eux,