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glise, et qui est le prix du sang de son Sauveur, est si constamment catholique, qu’il n’y a pas un catholique, jusques aux Jésuites mêmes, qui ne la reconnaisse pour orthodoxe. Et l’on saura en même temps, par votre propre confession, qu’il n’y a pas le moindre soupçon d’erreur dans ceux que vous en avez tant accusés, car, quand vous leur en imputiez de cachées sans les vouloir découvrir, il leur était aussi difficile de s’en défendre qu’il vous était facile de les en accuser de cette sorte ; mais maintenant que vous venez de déclarer que cette erreur qui vous oblige à les combattre est celle de Calvin, que vous pensiez qu’ils soutinssent, il n’y a personne qui ne voie clairement qu’ils sont exempts de toute erreur, puisqu’ils sont si contraires à la seule que vous leur imposez, et qu’ils protestent, par leurs discours, par leurs livres, et par tout ce qu’ils peuvent produire pour témoigner leurs sentiments, qu’ils condamnent cette hérésie de tout leur cœur, et de la même manière que font les Thomistes, que vous reconnaissez sans difficulté pour catholiques, et qui n’ont jamais été suspects de ne le pas être.

Que direz-vous donc maintenant contre eux, mon Père ? Qu’encore qu’ils ne suivent pas le sens de Calvin, ils sont néanmoins hérétiques, parce qu’ils ne veulent pas reconnaître que le sens de Jansénius est le même que celui de Calvin ? Oseriez-vous dire que ce soit là une matière d’hérésie ? Et n’est-ce pas une pure question de fait qui n’en peut former ? C’en serait bien une de dire qu’on n’a pas le pouvoir de résister à la grâce efficace ; mais en est-ce une de douter si Jansénius le soutient ? Est-ce une vérité révélée ? Est-ce un article de foi qu’il faille croire sur peine de damnation ? Et n’est-ce pas malgré vous un point de fait pour lequel il serait ridicule de prétendre qu’il y eût des hérétiques dans l’Église ?

Ne leur donnez donc plus ce nom, mon Père, mais quelque autre qui soit proportionné à la nature de votre différend. Dites que ce sont des ignorants et des stupides, et qu’ils entendent mal Jansénius ; ce seront des reproches assortis à votre dispute ; mais de les appeler hérétiques, cela n’y a nul rapport. Et comme c’est la seule injure dont je les veux défendre, je ne me mettrai pas beaucoup en peine de montrer qu’ils entendent bien Jansénius. Tout ce que je vous en dirai est qu’il me semble, mon Père, qu’en le jugeant par vos propres règles, il est difficile qu’il ne passe pour catholique, car voici ce que vous établissez pour l’examiner.

Pour savoir, dites-vous, si Jansénius est à couvert, il faut savoir s’il défend la grâce efficace à la manière de Calvin, qui nie qu’on ait le pouvoir d’y résister ; car alors il serait hérétique : ou à la manière des Thomistes, qui l’admettent, car alors il serait Catholique. Voyez donc, mon Père, s’il tient qu’on a le pouvoir de résister, quand il dit, dans des traités entiers, et entre autres, au t. 3, l. 8, c. 20, qu’on a toujours le pouvoir de résister à la grâce, selon le Concile : Que le libre arbitre peut toujours agir et n’agir pas, vouloir et ne vouloir pas, consentir et ne consentir pas, faire le bien et le mal, que l’homme en cette vie a toujours ces deux libertés, que vous appelez [de contrariété et] de contradiction. Voyez de même s’il n’est pas contraire à l’erreur de Calvin, telle que vous même la représentez, lui qui montre, dans tout le chap. 21, que l’Église a condamné cet hérétique, qui soutient que la grâce n’agit pas sur le libre arbitre en la manière qu’on l’a cru si longtemps dans l’Église, en sorte qu’il soit ensuite au pouvoir du libre arbitre de consentir ou de ne consentir pas, au lieu que, selon saint Augustin et le Concile, on a toujours le pouvoir de ne consentir pas, si on le peut, et que, selon saint Prosper, Dieu donne à ses élus mêmes la volonté de persévérer, en sorte qu’il ne leur ôte pas la puissance de vouloir le contraire. Et enfin jugez s’il n’est pas d’accord avec les Thomistes, lors-