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Le 24 mars 1657.

Mon Révérend Père,

Il y a longtemps que vous travaillez à trouver quelque erreur dans vos adversaires ; mais je m’assure que vous avouerez à la fin qu’il n’y a peut-être rien de si difficile que de rendre hérétiques ceux qui ne le sont pas, et qui ne fuient rien tant que de l’être. J’ai fait voir, dans ma dernière Lettre, combien vous leur aviez imputé d’hérésies l’une après l’autre, manque d’en trouver une que vous ayez pu longtemps maintenir ; de sorte qu’il ne vous était plus resté que de les en accuser, sur ce qu’ils refusaient de condamner le sens de Jansénius, que vous vouliez qu’ils condamnassent sans qu’on l’expliquât. C’était bien manquer d’hérésies à leur reprocher que d’en être réduit là. Car qui a jamais ouï parler d’une hérésie que l’on ne puisse exprimer ? Aussi on vous a facilement répondu, en vous représentant que, si Jansénius n’a point d’erreurs, il n’est pas juste de le condamner ; et que, s’il en a, vous deviez les déclarer, afin que l’on sût au moins ce que c’est que l’on condamne. Vous ne l’aviez néanmoins jamais voulu faire ; mais vous aviez essayé de fortifier votre prétention par des décrets qui ne faisaient rien pour vous, puisqu’on n’y explique en aucune sorte le sens de Jansénius, qu’on dit avoir été condamné dans ces cinq propositions. Or ce n’était pas là le moyen de terminer vos disputes. Si vous conveniez de part et d’autre du véritable sens de Jansénius, et que vous ne fussiez plus en différend que de savoir si ce sens est hérétique ou non, alors les jugements qui déclareraient que ce sens est hérétique toucheraient ce qui serait véritablement en question. Mais la grande dispute étant de savoir quel est ce sens de Jansénius, les uns disant qu’ils n’y voient que le sens de saint Augustin et de saint Thomas ; et les autres, qu’ils y en voient un qui est hérétique, et qu’ils n’expriment point ; il est clair qu’une Constitution qui ne dit pas un mot touchant ce différend, et qui ne fait que condamner en général le sens de Jansénius sans l’expliquer, ne décide rien de ce qui est en dispute.

C’est pourquoi l’on vous a dit cent fois que votre différend n’étant que sur ce fait, vous ne le finiriez jamais qu’en déclarant ce que vous entendez par le sens de Jansénius. Mais comme vous vous étiez toujours opiniâtrés à le refuser, je vous ai enfin poussé dans la dernière Lettre, où j’ai fait entendre que ce n’est pas sans mystère que vous aviez entrepris de faire condamner ce sens sans l’expliquer, et que votre dessein était de faire retomber un jour cette condamnation indéterminée sur la doctrine de la grâce efficace, en montrant que ce n’est autre chose que celle de Jansénius, ce qui ne vous serait pas difficile. Cela vous a mis dans la nécessité de