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qu’il n’est venu que pour les prédestinés ? Les enfants vous croient là-dessus, et plusieurs autres aussi ; car vous les entretenez de ces mêmes fables dans vos sermons, comme votre Père Crasset à Orléans, qui en a été interdit. Et je vous avoue que je vous ai cru aussi autrefois. Vous m’aviez donné cette même idée de toutes ces personnes-là. De sorte que, lorsque vous les pressiez sur ces propositions, j’observais avec attention quelle serait leur réponse ; et j’étais fort disposé à ne les voir jamais, s’ils n’eussent déclaré qu’ils y renonçaient comme à des impiétés visibles. Mais ils le firent bien hautement. Car M. de Sainte-Beuve, professeur du roi en Sorbonne, censura dans ses écrits publics ces cinq propositions longtemps avant le Pape ; et ces docteurs firent paraître plusieurs écrits, et entre autres celui De la Grâce victorieuse, qu’ils produisirent en même temps, où ils rejettent ces propositions et comme hérétiques et comme étrangères. Car ils disent, dans la préface, que ce sont des propositions hérétiques et Luthériennes, fabriquées et forgées à plaisir, qui ne se trouvent ni dans Jansénius ni dans ses défenseurs ; ce sont leurs termes. Ils se plaignent de ce qu’on les leur attribue, et vous adressent pour cela ces paroles de saint Prosper, le premier disciple de saint Augustin, leur maître, à qui les Semi-Pélagiens de France en imputèrent de pareilles pour le rendre odieux. Il y a, dit ce saint, des personnes qui ont une passion si aveugle de nous décrier, qu’ils en ont pris un moyen qui ruine leur propre réputation. Car ils ont fabriqué à dessein de certaines propositions pleines d’impiétés et de blasphèmes, qu’ils envoient de tous côtés pour faire croire que nous les soutenons au même sens qu’ils ont exprimé par leur écrit. Mais on verra, par cette réponse, et notre innocence et la malice de ceux qui nous ont imputé ces impiétés, dont ils sont les uniques inventeurs.

En vérité, mon Père, lorsque je les ouïs parler de la sorte avant la Constitution ; quand je vis qu’ils la reçurent ensuite avec tout ce qui se peut de respect ; qu’ils offrirent de la souscrire, et que M. Arnauld eut déclaré tout cela, plus fortement que je ne le puis rapporter, dans toute sa seconde lettre, j’eusse cru pécher de douter de leur foi. Et en effet, ceux qui avaient voulu refuser l’absolution à leurs amis avant la lettre de M. Arnauld ont déclaré, depuis, qu’après qu’il avait si nettement condamné ces erreurs qu’on lui imputait, il n’y avait aucune raison de le retrancher, ni lui ni ses amis, de l’Église. Mais vous n’en avez pas usé de même ; et c’est sur quoi je commençai à me défier que vous agissiez avec passion.

Car, au lieu que vous les aviez menacés de leur faire signer cette Constitution quand vous pensiez qu’ils y résisteraient, lorsque vous vîtes qu’ils s’y portaient d’eux-mêmes, vous n’en parlâtes plus. Et, quoiqu’il semblât que vous dussiez après cela être satisfait de leur conduite, vous ne laissâtes pas de les traiter encore d’hérétiques ; parce, disiez-vous, que leur cœur démentait leur main, et qu’ils étaient catholiques extérieurement, et hérétiques intérieurement, comme vous-même l’avez dit dans votre Rép. à quelques demandes, p. 27 et 47.

Que ce procédé me parut étrange, mon Père ! Car de qui n’en peut-on pas dire autant ? Et quel trouble n’exciterait-on point par ce prétexte ? Si l’on refuse, dit saint Grégoire, Pape, de croire la confession de foi de ceux qui la donnent conforme aux sentiments de l’Église, on remet en doute la foi de toutes les personnes catholiques. Je craignis donc, mon Père, que votre dessein ne fût de rendre ces personnes hérétiques sans qu’ils le fussent, comme parle le même Pape sur une dispute pareille de son temps ; parce, dit-il, que ce n’est pas s’opposer aux hérésies, mais c’est faire une hérésie que de refuser de croire ceux qui par leur confession témoignent d’être dans la véritable foi : Hoc non est hoeresim purgare, sed facere. Mais je connus en vérité qu’il n’y avait point en effet d’hérétiques dans l’Église, quand je vis qu’ils s’étaient si bien justifiés de toutes ces hérésies, que vous ne pûtes plus les accuser d’aucune erreur contre la foi, et que vous fûtes réduits à les entreprendre seulement sur des questions de fait touchant Jansénius, qui ne pouvaient être matière d’hérésie. Car vous les voulûtes obliger à reconnaître que ces propositions étaient dans Jansénius, mot à mot, toutes, et en propres termes, comme vous l’écrivîtes encore vous-mêmes : Singulares, individuoe, totidem verbis apud Jansenium contentoe, dans vos Cavilli, p. 39.

Dès lors votre dispute commença à me devenir indifférente. Quand je croyais que vous disputiez de la vérité ou de la fausseté des propositions, je vous écoutais avec attention, car cela touchait la foi ; mais, quand je vis que vous ne disputiez plus que pour savoir si elles étaient mot à mot dans Jansénius ou non, comme la religion n’y était plus intéressée, je ne m’y intéressai plus aussi. Ce n’est pas qu’il n’y eût bien de l’apparence que vous disiez vrai : car de dire que des paroles sont mot à mot dans un auteur, c’est à quoi l’on ne peut se méprendre. Aussi je ne m’étonne pas que tant de personnes, et en France et à Rome, aient cru, sur une expression si peu suspecte, que Jansénius les avait enseignées en effet. Et c’est pourquoi je ne fus pas peu surpris d’apprendre que ce même point de fait que vous aviez proposé comme si certain et si important était faux, et qu’on