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teurs, aussi bien qu’aux meurtriers, la communion jusques à la mort, par le I. et II. Concile d’Arles. Le Concile de Latran a jugé indignes de l’état ecclésiastique ceux qui en ont été convaincus, quoiqu’ils s’en fussent corrigés. Les Papes ont même menacé ceux qui auraient calomnié des évêques, des prêtres ou des diacres, de ne leur point donner la communion à la mort. Et les auteurs d’un écrit diffamatoire, qui ne peuvent prouver ce qu’ils ont avancé, sont condamnés par le Pape Adrien à être fouettés, mes Révérends Pères, flagellentur, tant l’Église a toujours été éloignée des erreurs de votre Société si corrompue, qu’elle excuse d’aussi grands crimes que la calomnie, pour les commettre elle-même avec plus de liberté.

Certainement, mes Pères, vous seriez capables de produire par là beaucoup de maux, si Dieu n’avait permis que vous ayez fourni vous-mêmes les moyens de les empêcher et de rendre toutes vos impostures sans effet ; car il ne faut que publier cette étrange maxime qui les exempte de crime, pour vous ôter toute créance. La calomnie est inutile, si elle n’est jointe à une grande réputation de sincérité. Un médisant ne peut réussir, s’il n’est en estime d’abhorrer la médisance comme un crime dont il est incapable. Et ainsi, mes Pères, votre propre principe vous trahit. Vous l’avez établi pour assurer votre conscience ; car vous vouliez médire sans être damnés, et être de ces saints et pieux calomniateurs dont parle saint Athanase. Vous avez donc embrassé, pour vous sauver de l’Enfer, cette maxime, qui vous en sauve sur la foi de vos docteurs : mais cette maxime même, qui vous garantit, selon eux, des maux que vous craignez en l’autre vie, vous ôte en celle-ci l’utilité que vous en espériez : de sorte qu’en pensant éviter le vice de la médisance vous en avez perdu le fruit : tant le mal est contraire à soi-même, et tant il s’embarrasse et se détruit par sa propre malice.

Vous calomnieriez donc plus utilement pour vous, en faisant profession de dire avec saint Paul que les simples médisants, maledici, sont indignes de voir Dieu, puisque au moins vos médisances en seraient plutôt crues, quoique à la vérité vous vous condamneriez vous-mêmes. Mais en disant, comme vous faites, que la calomnie contre vos ennemis n’est pas un crime, vos médisances ne seront point crues, et vous ne laisserez pas de vous damner : car il est certain, mes Pères, et que vos auteurs graves n’anéantiront pas la justice de Dieu, et que vous ne pouviez donner une preuve plus certaine que vous n’êtes pas dans la vérité qu’en recourant au mensonge. Si la vérité était pour vous, elle combattrait pour vous, elle vaincrait pour vous ; et, quelques ennemis que vous eussiez, la vérité vous en délivrerait, selon sa promesse. Vous n’avez recours au mensonge que pour soutenir les erreurs dont vous flattez les pécheurs du monde, et pour appuyer les calomnies dont vous opprimez les personnes de piété qui s’y opposent. La vérité étant contraire à vos fins, il a fallu mettre votre confiance au mensonge, comme dit un Prophète : Vous avez dit : Les malheurs qui affligent les hommes ne viendront pas jusques à nous : car nous avons espéré au mensonge, et le mensonge nous protégera. Mais que leur répond le Prophète ? D’autant, dit-il, que vous avez mis votre espérance en la calomnie et au tumulte, sperastis in calumnia et in tumultu, cette iniquité vous sera imputée, et votre ruine sera semblable à celle d’une haute muraille qui tombe d’une chute imprévue, et à celle d’un vaisseau de terre qu’on brise et qu’on écrase en toutes ses parties par un effort si puissant et si universel qu’il n’en restera pas un test avec lequel on puisse puiser un peu d’eau ou porter un peu de feu : parce que, comme dit un autre Prophète, vous avez affligé le cœur du juste, que je n’ai point affligé moi-même ; et vous avez flatté et fortifié la malice des impies. Je retirerai donc mon peuple de vos mains, et je ferai connaître que je suis leur Seigneur et le vôtre.