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y prenez pour en abuser. Car je n’y vois autre chose, sinon ce que le Concile de Trente enseigne, Sess. 13, c. 8, qu’il n’y a point d’autre différence entre Jésus-Christ dans l’Eucharistie et Jésus-Christ dans le ciel, sinon qu’il est ici voilé, et non pas là. M. Arnauld ne dit pas qu’il n’y a point d’autre différence en la manière de recevoir Jésus-Christ, mais seulement qu’il n’y en a point d’autre en Jésus-Christ que l’on reçoit. Et cependant vous voulez, contre toute raison, lui faire dire par ce passage qu’on ne mange non plus ici Jésus-Christ de bouche que dans le ciel : d’où vous concluez son hérésie.

Vous me faites pitié, mes Pères. Faut-il vous expliquer cela davantage ? Pourquoi confondez-vous cette nourriture divine avec la manière de la recevoir ? Il n’y a qu’une seule différence, comme je le viens de dire, dans cette nourriture sur la terre et dans le ciel, qui est qu’elle est ici cachée sous des voiles qui nous en ôtent la vue et le goût sensible : mais il y a plusieurs différences dans la manière de la recevoir ici et là, dont la principale est que, comme dit M. Arnauld, 3e part., ch. 16, il entre ici dans la bouche et dans la poitrine et des bons et des méchants, ce qui n’est pas dans le Ciel.

Et si vous ignorez la raison de cette diversité, je vous dirai, mes Pères, que la cause pour laquelle Dieu a établi ces différentes manières de recevoir une même viande, est la différence qui se trouve entre l’état des Chrétiens en cette vie et celui des bienheureux dans le Ciel. L’état des Chrétiens, comme dit le cardinal Du Perron après les Pères, tient le milieu entre l’état des bienheureux et l’état des Juifs. Les bienheureux possèdent Jésus-Christ réellement sans figure et sans voile. Les Juifs n’ont possédé de Jésus-Christ que les figures et les voiles, comme était la manne et l’agneau pascal. Et les Chrétiens possèdent Jésus-Christ dans l’Eucharistie véritablement et réellement, mais encore couvert de voiles. Dieu, dit saint Eucher, s’est fait trois tabernacles : la synagogue, qui n’a eu que les ombres sans vérité ; l’Église, qui a la vérité et les ombres ; et le Ciel où il n’y a point d’ombres, mais la seule vérité. Nous sortirions de l’état où nous sommes, qui est l’état de foi, que saint Paul oppose tant à la loi qu’à la claire vision, si nous ne possédions que les figures sans Jésus-Christ, parce que c’est le propre de la loi de n’avoir que l’ombre, et non la substance des choses. Et nous en sortirions encore, si nous le possédions visiblement ; parce que la foi, comme dit le même Apôtre, n’est point des choses qui se voient. Et ainsi l’Eucharistie est parfaitement proportionnée à notre état de foi, parce qu’elle enferme véritablement Jésus-Christ, mais voilé. De sorte que cet état serait détruit, si Jésus-Christ n’était pas réellement sous les espèces du pain et du vin, comme le prétendent les hérétiques : et il serait détruit encore, si nous le recevions à découvert comme dans le Ciel ; puisque ce serait confondre notre état, ou avec l’état du Judaïsme, ou avec celui de la gloire.

Voilà, mes Pères, la raison mystérieuse et divine de ce mystère tout divin. Voilà ce qui nous fait abhorrer les Calvinistes, comme nous réduisant à la condition des Juifs ; et ce qui nous fait aspirer à la gloire des bienheureux, qui nous donnera la pleine et éternelle jouissance de Jésus-Christ. Par où vous voyez qu’il y a plusieurs différences entre la manière dont il se communique aux Chrétiens et aux bienheureux, et qu’entre autres on le reçoit ici de bouche et non dans le Ciel ; mais qu’elles dépendent toutes de la seule différence qui est entre l’état de la foi où nous sommes et l’état de la claire vision où ils sont. Et c’est, mes Pères, ce que M. Arnauld a dit si clairement en ces termes : qu’il faut qu’il n’y ait point d’autre différence entre la pureté de ceux qui reçoivent Jésus-Christ dans l’Eucharistie, et celle des bienheureux, qu’autant qu’il y en a entre la foi et la claire vision de Dieu, de laquelle seule dépend la différente manière dont on le mange dans la terre et dans le Ciel. Vous devriez, mes Pères, avoir révéré dans ces paroles ces saintes vérités, au lieu de les corrompre pour y trouver une hérésie qui n’y fut jamais, et qui n’y saurait être, qui est qu’on