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ne ferez rien en cela que de conforme à votre maxime et à votre pratique ordinaire, tant le privilège que vous avez de mentir a d’étendue. Souffrez que je vous en donne un exemple que je choisis à dessein, parce que je répondrai en même temps à la neuvième de vos impostures ; aussi bien elles ne méritent d’être réfutées qu’en passant.

Il y a dix ou douze ans qu’on vous reprocha cette maxime du P. Bauny : Qu’il est permis de rechercher directement, primo et per se, une occasion prochaine de pécher pour le bien spirituel ou temporel de nous ou de notre prochain, tr. 4. q. 14, dont il apporte pour exemple : Qu’il est permis à chacun d’aller en des lieux publics pour convertir des femmes perdues, encore qu’il soit vraisemblable qu’on y péchera, pour avoir déjà expérimenté souvent qu’on est accoutumé de se laisser aller au péché par les caresses de ces femmes. Que répondit à cela votre P. Caussin en 1644, dans son Apologie pour la Compagnie de Jésus, p. 128 ? Qu’on voie l’endroit du P. Bauny, qu’on lise la page, les marges, les avant-propos, les suites, tout le reste, et même tout le livre, on n’y trouvera pas un seul vestige de cette sentence, qui ne pourrait tomber que dans l’âme d’un homme extrêmement perdu de conscience, et qui semble ne pouvoir être supposée que par l’organe du démon. Et votre P. Pinthereau, en même style, I. part., p. 24 : Il faut être bien perdu de conscience pour enseigner une si détestable doctrine ; mais il faut être pire qu’un démon pour l’attribuer au P. Bauny. Lecteur, il n’y en a ni marque ni vestige dans tout son livre. Qui ne croirait que des gens qui parlent de ce ton-là eussent sujet de se plaindre, et qu’on aurait en effet imposé au P. Bauny ? Avez-vous rien assuré contre moi en de plus forts termes ? Et comment oserait-on s’imaginer qu’un passage fût en mots propres au lieu même où l’on le cite, quand on dit qu’il n’y en a ni marque ni vestige dans tout le livre ?

En vérité, mes Pères, voilà le moyen de vous faire croire jusqu’à ce qu’on vous réponde ; mais c’est aussi le moyen de faire qu’on ne vous croie jamais plus, après qu’on vous aura répondu. Car il est si vrai que vous mentiez alors, que vous ne faites aujourd’hui aucune difficulté de reconnaître dans vos Réponses que cette maxime est dans le P. Bauny, au lieu même où on l’avait citée ; et, ce qui est admirable, c’est qu’au lieu qu’elle était détestable il y a douze ans, elle est maintenant si innocente que, dans votre Neuvième Impost., p. 10, vous m’accusez d’ignorance et de malice, de quereller le P. Bauny sur une opinion qui n’est point rejetée dans l’École. Qu’il est avantageux, mes Pères, d’avoir affaire à ces gens qui disent le pour et le contre ! Je n’ai besoin que de vous-mêmes pour vous confondre. Car je n’ai à montrer que deux choses : l’une, que cette maxime ne vaut rien ; l’autre, qu’elle est du P. Bauny. Et je prouverai l’un et l’autre par votre propre confession. En 1644, vous avez reconnu qu’elle est détestable, et en 1656 vous avouez qu’elle est du P. Bauny. Cette double reconnaissance me justifie assez, mes Pères ; mais elle fait plus, elle découvre l’esprit de votre politique. Car dites-moi, je vous prie, quel est le but que vous vous proposez dans vos écrits ? Est-ce de parler avec sincérité ? Non, mes Pères, puisque vos réponses s’entre-détruisent. Est-ce de suivre la vérité de la foi ? Aussi peu, puisque vous autorisez une maxime qui est détestable selon vous-mêmes. Mais considérons que, quand vous avez dit que cette maxime est détestable, vous avez nié en même temps qu’elle fût du P. Bauny ; et ainsi il était innocent ; et, quand vous avouez qu’elle est de lui, vous soutenez en même temps qu’elle est bonne, et ainsi il est innocent encore. De sorte que, l’innocence de ce Père étant la seule chose commune à vos deux réponses, il est visible que c’est aussi la seule chose que vous y recherchez, et que vous n’avez pour objet que la défense de vos Pères, en disant d’une même maxime qu’elle est dans vos livres et qu’elle n’y est pas ; qu’elle est bonne et qu’elle est mauvaise, non pas selon la vérité, qui ne change jamais, mais selon votre intérêt, qui change à toute heure. Que ne pourrais-je vous dire là-dessus, car vous voyez bien que cela est convaincant ? Cependant rien ne vous est plus ordi-