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L’Église a été longtemps à ne réconcilier qu’à la mort ceux qui étaient coupables d’un homicide volontaire, tels que sont ceux que vous permettez. Le célèbre Concile d’Ancyre les soumet à la pénitence durant toute leur vie ; et l’Église a cru depuis être assez indulgente envers eux en réduisant ce temps à un très grand nombre d’années. Mais, pour détourner encore davantage les Chrétiens des homicides volontaires, elle a puni très sévèrement ceux mêmes qui étaient arrivés par imprudence, comme on peut voir dans saint Basile, dans saint Grégoire de Nysse, dans les décrets du pape Zacharie et d’Alexandre II. Les canons rapportés par Isaac, évêque de Langres, t. 2, ch. 13, ordonnent sept ans de pénitence pour avoir tué en se défendant. Et on voit que saint Hildebert, évêque du Mans, répondit à Yves de Chartres : Qu’il a eu raison d’interdire un prêtre pour toute sa vie, qui, pour se défendre, avait tué un voleur d’un coup de pierre.

N’ayez donc plus la hardiesse de dire que vos décisions sont conformes à l’esprit et aux Canons de l’Église. On vous défie d’en montrer aucun qui permette de tuer pour défendre son bien seulement : car je ne parle pas des occasions où l’on aurait à défendre aussi sa vie, se suaque liberando : vos propres auteurs confessent qu’il n’y en a point comme, entre autres, votre Père Lamy, tom. 5, disp. 36, num. 136 : Il n’y a, dit-il, aucun droit divin ni humain qui permette expressément de tuer un voleur qui ne se défend pas. Et c’est néanmoins ce que vous permettez expressément. On vous défie d’en montrer aucun qui permette de tuer pour l’honneur, pour un soufflet, pour une injure et une médisance. On vous défie d’en montrer aucun qui permette de tuer les témoins, les juges et les magistrats, quelque injustice qu’on en appréhende. L’esprit de l’Église est entièrement éloigné de ces maximes séditieuses qui ouvrent la porte aux soulèvements auxquels les peuples sont si naturellement portés. Elle a toujours enseigné à ses enfants qu’on ne doit point rendre le mal pour le mal ; qu’il faut céder à la colère ; ne point résister à la violence ; rendre à chacun ce qu’on lui doit, honneur, tribut, soumission, obéir aux magistrats et aux supérieurs, même injustes ; parce qu’on doit toujours respecter en eux la puissance de Dieu qui les a établis sur nous. Elle leur défend encore plus fortement que les lois civiles de se faire justice à eux-mêmes ; et c’est par son esprit que les Rois chrétiens ne se la font pas dans les crimes mêmes de lèse-majesté au premier chef, et qu’ils remettent les criminels entre les mains des juges pour les faire punir selon les lois et dans les formes de la justice, qui sont si contraires à votre conduite, que l’opposition qui s’y trouve vous fera rougir. Car, puisque ce discours m’y porte, je vous prie de suivre cette comparaison entre la manière dont on peut tuer ses ennemis, selon vous, et celle dont les juges font mourir les criminels.

Tout le monde sait, mes Pères, qu’il n’est jamais permis aux particuliers de demander la mort de personne ; et que, quand un homme nous aurait ruinés, estropiés, brûlé nos maisons, tué notre père, et qu’il se disposerait encore à nous assassiner et à nous perdre d’honneur, on n’écouterait point en justice la demande que nous ferions de sa mort ; de sorte qu’il a fallu établir des personnes publiques qui la demandent de la part du Roi, ou plutôt de la part de Dieu. A votre avis, mes Pères, est-ce par grimace et par feinte que les juges chrétiens ont établi ce règlement ? Et ne l’ont-ils pas fait pour proportionner les lois civiles à celles de l’Evangile, de peur que la pratique extérieure de la justice ne fût contraire aux sentiments intérieurs que des Chrétiens doivent avoir ? On voit assez combien ce commencement des voies de la justice vous confond ; mais le reste vous accablera.

Supposez donc, mes Pères, que ces personnes publiques demandent la mort de celui qui a commis tous ces crimes, que fera-t-on là-dessus ? Lui portera-t-on incontinent le poignard dans le sein ? Non, mes Pères ; la vie des hommes est trop im-