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ni pour la justification de la Société que vous défendez.

Mais, afin de vous donner une entière satisfaction sur ce sujet, je vous soutiens que vous avez tort aussi bien sur Tannerus que sur les autres. Premièrement, vous ne pouvez nier qu’il ne dise généralement « qu’il n’y a point de simonie en conscience, in foro conscientiæ, à donner un bien spirituel pour un temporel, lorsque le temporel n’en est que le motif même principal, et non pas le prix. » Et quand il dit qu’il n’y a point de simonie en conscience, il entend qu’il n’y en a point, ni de droit divin, ni de droit positif. Car la simonie de droit positif est une simonie en conscience. Voilà la règle générale à laquelle Tannerus apporte une exception, qui est que « dans les cas exprimés par le droit, c’est une simonie de droit positif, ou une simonie présumée. » Or, comme une exception ne peut pas être aussi étendue que la règle, il s’ensuit par nécessité que cette maxime générale, que « ce n’est point simonie en conscience de donner un bien spirituel pour un temporel, qui n’en est que le motif, et non pas le prix, » subsiste en quelque espèce des choses spirituelles ; et qu’ainsi il y ait des choses spirituelles qu’on peut donner sans simonie de droit positif pour des biens temporels, en changeant le mot de prix en celui de motif.

L’auteur des Lettres a choisi l’espèce des bénéfices, à laquelle il réduit la doctrine de Valentia et de Tannerus. Mais il lui importe peu néanmoins que vous en substituiez une autre, et que vous disiez que ce n’est pas les bénéfices, mais les sacremens, ou les charges ecclésiastiques, qu’on peut donner pour de l’argent. Il croit tout cela également impie, et il vous en laisse le choix. Il semble, monsieur, que vous l’ayez voulu faire, et que vous ayez voulu donner à entendre que ce n’est pas simonie de dire la messe, ayant pour motif principal d’en recevoir de l’argent. C’est la pensée qu’on peut avoir en lisant ce que vous rapportez de la coutume de l’Église de Paris. Car si vous aviez voulu dire simplement que les fidèles peuvent offrir des biens temporels à ceux dont ils reçoivent les spirituels, et que les prêtres qui servent à l’autel peuvent vivre de l’autel, vous auriez dit une chose dont personne ne doute, mais qui ne touche point aussi notre question. Il s’agit de savoir si un prêtre qui n’auroit pour motif principal, en offrant le sacrifice, que l’argent qu’il en reçoit, ne seroit pas devant Dieu coupable de simonie. Vous l’en devez exempter selon la doctrine de Tannerus ; mais le pouvez-vous selon les principes de la piété chrétienne ? « Si la simonie, dit Pierre le Chantre, l’un des plus grands ornemens de l’Église de Paris, est si honteuse et si damnable dans les choses jointes aux sacremens, combien l’est-elle plus dans la substance même des sacremens, et principalement dans l’eucharistie, où on prend Jésus-Christ tout entier, la source et l’origine de toutes les grâces ! Simon le Magicien, dit encore ce saint homme, ayant été rejeté par Simon Pierre, lui eût pu dire : « Tu me rebutes, mais je triompherai de toi et du corps entier de l’Église ; j’établirai le siège de mon empire sur les autels ; et lorsque les anges seront assemblés en un coin de l’autel pour adorer le corps de Jésus-Christ, je serai à l’autre coin pour faire que le ministre de l’autel, ou plutôt le mien, le forme pour de l’argent.» Et cependant cette simonie, que ce pieux théologien condamne si fortement, ne consiste que dans la cupidité, qui fait que, dans l’administration des choses spirituelles, on met sa fin principale dans l’utilité temporelle qui en revient. Et c’est ce qui lui fait dire généralement (chap. xxv) a que les ministères saints, qu’il appelle les ouvrages de la droite, étant exercés par l’amour de l’argent, forment la simonie : Opus dexteræ, operatum causa pecuniæ acquirendæ, parit simoniam. » Qu’auroit-il donc dit, s’il avoit ouï parler de cette horrible maxime des casuistes que vous défendez : « qu’il est permis à un prêtre de renoncer pour un peu d’argent à tout le fruit spirituel qu’il peut prétendre du sacrifice ? »