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savoir votre difficulté à Escobar, avant que de la publier ? Il vous eût satisfait. Il n’est pas si malaisé d’avoir des nouvelles de Valladolid, où il est en parfaite santé, et où il achève sa grande Théologie morale en six volumes, sur les premiers desquels je vous pourrai dire un jour quelque chose. On lui a envoyé les dix premières Lettres, vous pouviez aussi lui envoyer votre objection, et je m’assure qu’il y eût bien répondu : car il a vu sans doute dans Lessius ce passage, d’où il a pris le ne indecore vivat. Lisez-le bien, mes Pères, et vous l’y trouverez comme moi, lib. 2, c. 16, n. 45 : Idem colligitur aperte ex juribus citatis, maxime quoad ea bona quoe post cessionem acquirit, de quibus is qui debilor est etiam ex delicto, potest retinere quantum necessarium est, ut pro sua conditione NON INDECORE VIVAT. Petes an leges id permittant de bonis quoe tempore insiantis cessionis habebat ? Ita vidécur colligi ex DD.

Je ne m’arrêterai pas à vous montrer que Lessius, pour autoriser cette maxime, abuse de la loi qui n’accorde que le simple vivre aux banqueroutiers, et non pas de quoi subsister avec honneur. Il suffit d’avoir justifié Escobar contre une telle accusation ; c’est plus que je ne devais faire. Mais vous, mes Pères, vous ne faites pas ce que vous devez : car il est question de répondre au passage d’Escobar, dont les décisions sont commodes, en ce qu’étant indépendantes du devant et de la suite, et toutes renfermées en de petits articles, elles ne sont pas sujettes à vos distinctions. Je vous ai cité son passage entier, qui permet à ceux qui font cession de retenir de leurs biens, quoique acquis injustement, pour faire subsister leur famille avec honneur. Sur quoi je me suis écrié dans mes Lettres : Comment ! mes Pères, par quelle étrange charité voulez-vous que les biens appartiennent plutôt à ceux qui les ont mal acquis qu’aux créanciers légitimes ? C’est à quoi il faut répondre : mais c’est ce qui vous met dans un fâcheux embarras, que vous essayez en vain d’éluder en détournant la question, et citant d’autres passages de Lessius, desquels il ne s’agit point. Je vous demande donc si cette maxime d’Escobar peut être suivie en conscience par ceux qui font banqueroute ? Et prenez garde à ce que vous direz. Car si vous répondez que non, que deviendra votre docteur, et votre doctrine de la probabilité ? Et si vous dites que oui, je vous renvoie au Parlement.

Je vous laisse dans cette peine, mes Pères ; car je n’ai plus ici de place pour entreprendre l’Imposture suivante sur le passage de Lessius touchant l’homicide ; ce sera pour la première fois, et le reste ensuite.

Je ne vous dirai rien cependant sur les Avertissements pleins de faussetés scandaleuses par où vous finissez chaque imposture : je repartirai à tout cela dans la Lettre où j’espère montrer la source de vos calomnies. Je vous plains, mes Pères, d’avoir recours à de tels remèdes. Les injures que vous me dites n’éclairciront pas nos différends, et les menaces que vous me faites en tant de façons ne m’empêcheront pas de me défendre. Vous croyez avoir la force et l’impunité, mais je crois avoir la vérité et l’innocence. C’est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaie d’opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu’à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l’irriter encore plus. Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre : quand l’on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n’ont que la vanité et le mensonge : mais la violence et la vérité ne peuvent rien l’une sur l’autre. Qu’on ne prétende pas de là néanmoins que les choses soient égales : car il y a cette extrême différence, que la violence n’a qu’un cours borné par l’ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu’elle attaque : au lieu que la vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu’elle est éternelle et puissante comme Dieu même.