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XXXV
PRÉFACE


je gérai bénévolement les intérêts de Cazaux, qui ne manquait jamais de venir, le surlendemain de chaque échéance, me réclamer les petites rentes que je recouvrais pour lui. Dans une de ces visites, je constatai fortuitement que j’étais en face d’un conteur tout à fait hors ligne, renseigné largement, superstitieux en toute bonne foi, mais plus défiant, à lui seul, que tous mes témoins antérieurs. Pour l’apprivoiser, je prodiguai les soumissions de toutes sortes, et les trésors d’une diplomatie conquise par dix ans de pratique. Mais Cazaux ne parla jamais qu’à sa volonté.

Durant la belle saison, nous nous rencontrions, chaque soir, au tournant de la route qui débouche de l’Esplanade, et domine le vaste paysage, fermé, tout au loin, par la ligne vague et bleue des Pyrénées. Une fois assuré que nous étions tous deux bien seuls, Cazaux rajeunissait de trente ans. Son regard s’éclairait. De sa voix lente et grave, il dictait, avec d’amples et sobres gestes, se taisant quelquefois, pour se recueillir, ou promener autour de nous un regard soupçonneux. Moi, j’écrivais rapidement, sauf à corriger plus tard les textes, sous le contrôle souvent tyrannique de mon narrateur. Je tiens néanmoins pour certain que Cazaux s’est tu sur bien des choses, et qu’il est mort sans me juger digne de noter la moitié de ce qu’il savait.

Tels ont été, sans préjudice de bien d’autres, les