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temps que son brin de paille reprenait son mouvement accéléré.

— Si j’avais à exprimer mon sentiment, je dirais qu’il n’y a pas tant à se vanter. Sans doute, le pasteur et les maîtres d’école sont contents de ce qui a été fait ; mais certainement le commun peuple trouve qu’aujourd’hui les taxes de la paroisse sont de plus en plus lourdes…

Ici s’éleva un murmure dans l’assemblée, qui parut très agitée. Lars continua :

— En fin de compte, on nous présente maintenant un projet qui promet quelques petites compensations pour tout ce qu’on a déboursé : c’est peut-être pour cela que ce projet rencontre tant d’opposition. Or, c’est une question qui concerne la paroisse ; il s’agit du bien-être de tous, et notre devoir est d’empêcher qu’elle ne devienne une simple affaire de famille.

Les membres du conseil échangèrent des regards et quelques mots qui s’entendirent à peine ; l’un d’eux, tout en se levant pour aller prendre sa part à la gamelle de son dîner, fit remarquer que les paroles qui venaient d’être dites étaient les plus justes qu’il eût entendues depuis des années. Tous se levèrent de leurs sièges, la conversation devint générale, et Knud Aakre qui, seul, était resté assis, sentit que tout était perdu, déplorablement perdu, et ne fit aucun effort pour arrêter le mal. La vérité est qu’il avait quelque chose du tempérament qu’on attribue aux Français : il était très fort à la première, à la seconde attaque, quelquefois même à la troisième, mais il faiblissait à la défensive, parce que son impressionnabilité l’emportait sur son sang-froid.

Il était incapable de comprendre ce qui se passait ; aussi fut-il prompt à se décider, et, cédant la place au vice-président, il quitta la salle. Les autres ne purent s’empêcher de sourire.

Il était venu à l’assemblée en compagnie de Lars, mais il s’en alla seul, et le chemin lui sembla long. Le jour était froid, la forêt nue et triste, les prés d’un gris jaune, la gelée blanchissait les bords de la route. Le désappointement est un terrible compagnon. Knud se sentait si petit, si abandonné ! Lars apparaissait devant lui, à travers le crépuscule du soir, dans sa grandeur surhumaine, tout à fait comme un géant. Il était vexé de sentir que c’était par sa propre faute, à lui, que la bataille