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pieds ! C’est grâce à moi que votre boutique a tenu jusqu’aujourd’hui : après moi elle tombera en mille pièces, et c’est déjà fait… Voilà votre registre ! – Et il le jeta sur la table. – Honte à cette assemblée de vieilles commères et de marmots ! – Et il frappa violemment sur le bureau. – Honte à toute cette paroisse qui récompense ainsi son bienfaiteur !

De nouveau il laissa retomber son poing fermé sur la table de la présidence, avec une violence telle que l’écritoire roula à terre, marquant ainsi d’une grande tache noire, pour les générations futures, la place où Lars Högstad, en dépit de sa longue domination, de sa patience et de son habileté, était rentré dans le néant.

Il se précipita vers la porte et disparut. L’assemblée resta immobile : la colère de Lars et sa voix tonnante avaient épouvanté les conseillers ahuris. Alors Knud Aakre, se rappelant le traitement insultant qu’il avait reçu lors de sa chute à lui, s’écria, l’air radieux et en contrefaisant la voix de Lars :

— Est-ce là « le coup décisif » qui tranche la question ?

De joyeux éclats de rire, partant de toutes parts, saluèrent ces paroles. Cette séance solennelle finit dans l’allégresse ; deux ou trois membres seulement quittèrent la salle ; tous les demeurants se firent apporter à boire afin d’arroser gaiement leur repas, et une nuit bruyante succéda à ce jour orageux. Chacun se sentait heureux et libre comme autrefois, alors que l’esprit dominateur de Lars n’avait pas encore courbé leurs âmes sous une obéissance muette. Ils portèrent des toasts à leur affranchissement ; ils chantèrent de tout leur cœur et, finalement, – en vérité, – ils se mirent à danser, Knud Aakre et le vice-président figurant en tête de la grande sarabande qui les emporta tous. Garçons et filles se joignirent à la danse, tandis qu’au dehors de la salle retentissaient des hourras en l’honneur de cette journée, telle que la paroisse n’en vit jamais de pareille.


III

À Högstad, Lars arpentait ses vastes chambres, silencieux et sombre. Sa femme, qui l’aimait, mais avec crainte et tremblement, n’osait affronter sa présence. Les affaires du gard et de la maison allaient comme elles pouvaient, tandis qu’une mul-